Témoignage : « Personne n’est et ne doit et ne devrait être réduit à sa sexualité »

Ce billet est une réponse adressée à la publication de la tribune « Je suis homosexuel, mais ça n’est ni une identité, ni une communauté, ni une culture », publiée le 29 juillet dernier sur le huffingtonpost.fr

Cher Sébastien sans visage,

Quand le Huffington Post m’a demandé si je pouvais être intéressé par la rédaction d’une réponse à ta tribune, ma première réaction a été de ne pas vouloir le faire.

D’abord, parce que c’est très compliqué de répondre à quelqu’un qui exprime son point de vue, sans sembler péremptoire, condescendant, ou pire, blessant.

Ensuite, parce que cela ne ferait que donner davantage de visibilité à ton texte anonyme que, justement, j’ai trouvé profondément blessant.

Mais voilà. Pour moi, blesser des gens en n’ayant pas le courage d’assumer ses propos, je trouve ça injuste.

Je trouve ça injuste, parce que j’ai la chance d’avoir un père magnifique et courageux qui est venu écrire, ici même, comme toi, en faveur de nos droits, au moment où certains autres parents venaient taper sur notre existence. Ce qui, pour un enseignant est une sacrée prise de position.

Et toi, que mon père a défendu, sous son nom, tu viens tout abîmer, de façon anonyme. Ce n’est pas juste.

Pourtant ton post commençait bien. Tu attaques en disant ne pas vouloir « [te] réduire à [ta] sexualité », qui « n’est pas un élément qui domine [ta] personnalité ».

Tu as raison, personne n’est et ne doit et ne devrait être réduit à sa sexualité. Ni à sa couleur de peau, ni à sa religion, ni à son sexe, ni à sa taille, ni à rien du tout.

C’est donc pour cela, expliques-tu, que tu refuses de faire ton coming out. Ce coming out que tu qualifies de « déchirement » d’une « violence affective et symbolique incroyable ».

C’est à ce moment-là que tu as commencé à me perdre.

Associer le coming out à la violence et au déchirement, quel terrible message à envoyer aux jeunes qui te liront, et qui auraient déjà la trouille de le faire.

Alors, oui, c’est vrai, faire son coming out est un moment symboliquement et affectivement fort. Mais ce n’est pas un déchirement, en réalité. C’est au contraire un soulagement. Tu te révèles. Tu arrêtes enfin de mentir, à ces amis, cette famille, et cet environnement professionnel dont tu fais mention. Tu sors de l’anonymat.

Parce que tu sembles omettre un détail: nous sommes tous par essence associés à une sexualité. Celle des hétéros.

Ne pas dire que tu es gay, c’est pas juste ne pas mettre un détail de ta vie sur la table. C’est laisser ton entourage s’imaginer que tu es autre. Et revient donc cautionner une forme de mensonge de fait. Et pourquoi? Pourquoi ne pas leur dire?

« Cela ne les regarde pas », me répondras-tu.

Grand classique. Sauf que ça ne marche pas. Si tu avais été hétérosexuel, cela ne les aurait pas regardés pour autant, et pourtant tout le monde aurait été au courant. Tu n’y aurais d’ailleurs même pas pensé. Spontanément, tu aurais tenu la main, embrassé, aimé au grand jour une fille, sans te poser la moindre question. Avec évidence. Ce qui n’est pas le cas quand on est homosexuel.

Tu dis qu’être homosexuel n’est pas un élément définissant de ce que tu es. Mais le simple fait que tu viennes le clamer par écrit ici prouve que ce n’est évidemment pas le cas.

Le fait que tu sois gay est définissant. Comme des tas d’autres données, qui pourtant ne regardent que toi elles aussi, mais que tu n’as pas hésité à indiquer. Le fait que tu sois un garçon, et pas une fille. Le fait que tu aies « trente ans tout pile ». L’éducation que tu as reçue. Tes séjours à Bruxelles et à Berlin. Les études que tu as suivies, le job que tu fais, l’univers dans lequel tu évolues, ou tes réflexions personnelles.

Moi aussi je suis un garçon. Moi aussi j’ai une trentaine d’années. Moi aussi j’ai fait des hautes études. Et moi aussi je suis gay. Et ce que nous avons de plus en commun toi et moi, c’est bien le fait que nous soyons gay tous les deux.

Je pense que nous ne nous rencontrerons jamais, et je pense que nous partageons assez peu de valeurs, mais nous avons ça en commun: un parcours, une histoire, une construction qui, à un moment donné dans notre vie, ont participé à ce que nous sommes aujourd’hui. Et que seuls ceux qui passent par là peuvent comprendre.

C’est en ça que cela te définit. Parce que du coup, il n’appartient pas aux hétérosexuels.

Les hétérosexuels n’ont pas à prendre conscience qu’ils ne sont pas ce qui les définissait spontanément. Les hétérosexuels ne passeront jamais par cette phase d’acceptation de leur sexualité. C’est inné, pour les hétérosexuels. C’est facile.

Pour nous, ça ne l’est pas. Nous, nous avons l’obligation d’expliquer que nous ne sommes pas ce que les autres pensent. On peut aussi ne pas l’expliquer, c’est vrai -et c’est ce que tu as décidé de faire, en l’occurrence- mais c’est un choix. Je ne crois pas qu’un hétérosexuel fasse le choix de ne pas énoncer sa sexualité.

Et c’est en cela que nous sommes une communauté. Notre amour ne va pas de soi, et c’est ce qui nous réunit. Que tu le veuilles ou non.

Après, c’est vrai, énoncer son homosexualité, c’est parfois pas facile.

Aux yeux de certains, toi comme moi, nous serons toujours des sales pédés, des tapettes, des tantouzes. C’est en ça que notre communauté est importante et forte.

Tu la décries? Elle n’est pas parfaite, c’est vrai. Elle est très hétérogène, surtout. Forcément complexe, du coup. Mais il faut dire aussi que, contrairement aux autres communautés, la nôtre n’a pas une histoire qui se transmet par nos parents. Nous ne pouvons compter que sur cette communauté pour savoir ce que c’est que d’avoir une sexualité qui n’est pas la norme.

D’où l’importance d’avoir ces événements annuels pour ceux pour qui c’est moins facile. Ces Gay Pride qui permettent de prendre la rue d’assaut, de montrer au monde notre existence, de mener nos combats, et par là-même, de nous faire accepter.

Alors, oui, c’est carnavalesque. Mais d’abord je trouve pas ça si mal, moi, que le fait d’être marginalisé puisse être quelque chose qui ne soit pas triste, au moins une journée dans l’année. C’est même une chance, dis-toi, de pouvoir manifester dans la joie, quand cela est interdit ailleurs, comme à Saint-Pétersbourg, ou pire, comme à Jérusalem, où des gens meurent pour avoir marché.

Puis, qu’est-ce que tu en as à faire, en vrai, que la Gay Pride soit « un carnaval médiatique », « une technoparade costumée »? En quoi ça t’emmerde que la téléréalité donne image que tu considères comme cliché? En quoi vivre cette sexualité reviendrait à endosser cette image que tu rejettes?

Tu clames que le fait de ne pas être dans la revendication est être une forme d’acceptation. OK. Mais rejeter des homos parce qu’ils ne sont pas à ton image ou à celle qui te rassure l’est déjà beaucoup moins. D’ailleurs, pourquoi refuses-tu si fort d’y être associé, au fond?

Souviens-toi que c’est parce que les folles, ces « clichés » qui te gênent, se sont battues, et se battent encore pour avoir le droit d’être et de l’être, que nous avons aujourd’hui, toi et moi, le droit à cette indifférence que tu chéris.

Mais il y a aussi chaque jour des gens qui prouvent qu’être homosexuel, ce n’est pas que cet « énorme cliché » que tu médis. Des acteurs de talents, comme Elen Page, des businessmen de renom, tel Tim Cook, des champions olympiques comme Ian Thorpe ou Tom Daley.

D’ailleurs si tu faisais de même, tu participerais, toi aussi, à briser cette image que le prisme médiatique aime à mettre en lumière, et qui te gêne tant.

Une dernière chose. Tu finis en écrivant que « le sujet de l’homosexualité avancera dans notre société quand on n’aura plus besoin de se décrire comme homosexuel ».

C’est pourtant ce qui serait parfait. Que cela ne soit qu’un élément de description.

Non, parce que soyons clairs: il faut quand même un moment ou un autre expliquer à nos ami(e)s que cela ne sert à rien de nous présenter des filles, tu ne crois pas?

Thierry Heems,
Consultant relations media
& influence chez ELAN EDELMAN