Témoignage : Policier et gay, j’aide les flics LGBT à s’affirmer dans ce milieu hyper-masculin

À la fin des années 1990, lorsqu’il est entré dans la police, Alain Parmentier s’était inventé une petite amie pour ne pas éveiller les soupçons de ses collègues quant à son homosexualité. Depuis, il a créé « Flag ! », une asso de défense des policiers et gendarmes LGBT, qui a contribué à changer les mentalités dans les commissariats sur les flics gays, lesbiennes, bis et trans. Également élu en avril dernier à la vice-présidence de l’European LGBT Police Association, il revient cette semaine dans le NouvelObs sur son parcours.

Témoignage - Policier et gay, j'aide les flics LGBT à s'affirmer dans ce milieu hyper-masculinJe suis entré dans la police nationale à la fin des années 1990. Replongeons-nous dans le contexte, celui d’un monde très masculin, où les femmes sont peu nombreuses et les hommes passent tout leur temps ensemble. Il est arrivé certains dérapages, tels que des imitation de la « Cage aux folles » pour faire rire les autres. Il y a 30 ans, ça passait, aujourd’hui plus du tout. Un peu comme les blagues de Michel Leeb sur les Africains, lorsqu’il se mettait du cirage sur le visage et racontait des histoires. En 2016, il irait au tribunal.

J’avais une petite amie imaginaire

En arrivant dans le commissariat parisien où j’avais été affecté, j’ai pu remarquer que l’un de mes collègues était le bouc émissaire de la bande, parce qu’homosexuel. Les scènes auxquelles j’ai assisté m’ont tout de suite dissuadé d’assumer mon orientation sexuelle sur mon lieu de travail. Par exemple, il arrivait souvent que quelqu’un lui renverse « sans faire exprès » du café sur son uniforme au moment où il allait sortir. Il retrouvait occasionnellement son casier de vestiaires abîmé, forcé.

Une fois, au lendemain de l’élection de Bertrand Delanoe à la mairie de Paris, quelqu’un a écrit dans les vestiaires d’un de nos collègues : « Vas bouffer du sperme avec Delanoe. »
A l’époque lorsque j’étais jeune stagiaire, je m’étais même inventé une petite-amie dont je ne parlais jamais. S’il m’arrivait de raconter ma soirée de la veille, je disais : « J’étais avec mon ami(e). » Ça restait neutre.

J’ai également pu constater que ces discriminations se concentraient particulièrement sur les hommes, suivant des stéréotypes selon lesquels le gay est une personne faible, c’est la « folle » ; l’inverse la lesbienne renvoyait l’image d’un garçon manqué. On peut se battre avec elle, elle est forte, on peut compter sur elle lors de l’usage de la force.

La hiérarchie laissait faire

Aussi étrange que cela puisse paraître, à l’époque, ces attaques personnelles ne faisaient réagir ni la hiérarchie, ni les syndicats, qui se contentaient d’un simple : « Bon c’est bon, les gars, arrêtez vos bêtises… ».

Sur Paris, on était une petite dizaine de policiers gays, de plusieurs commissariats différents et témoins de la même discrimination. Comme personne ne faisait rien pour nous défendre, nous avons dû réagir par nous-mêmes. En septembre 2001 j’ai créé l’association « Flag ! », avec Mickaël Bucheron, un autre policier.

Dès lors, j’ai assumé mon homosexualité au boulot. Les gens étaient informés de mon engagement, je n’ai pas eu de problèmes de discrimination à titre personnel. Peut-être parce que je faisais partie de l’association et que j’en étais le président.

Depuis, plusieurs réformes déontologiques ont été menées en interne. « Flag ! » a réussi à faire insérer dans les textes la notion de respect de la personne, quelle que soit son orientation ou son identité sexuelle. Nous menons une campagne de sensibilisation à l’homophobie tous les ans en mai, en lien avec le Ministère de l’Intérieur/ En 2014, nous avons signé une convention qui nous lie à la police nationale. Une seconde convention vient d’être signée avec la Gendarmerie nationale.

Nous ne sommes pas chargés officiellement de la défense des policiers qui subiraient de la discrimination, mais nous aidons ceux qui font appel à nous à monter un dossier solide, que nous soumettons aux instances du ministère.

Sensibilisation dans les écoles de police

Par ailleurs,avec « Flag ! », je me rends régulièrement dans les écoles de police et de gendarmerie à travers toute la France pour parler de l’homophobie et de la transphobie aux futurs policiers. Nous sommes huit à nous diviser le travail et à aller à la rencontre des 3.000 agents en devenir qui arrivent chaque année.

Je me souviens de ces jeunes stagiaires au commissariat, qui n’osaient pas dire qu’ils étaient gays, de peur que cela ne pose problème pour leur titularisation. Ils savent maintenant que l’administration Police/Gendarmerie les soutient et qu’ils peuvent compter sur « Flag ! » si besoin.

Aujourd’hui l’IGPN a mis en place un document qui permet à chacun de solliciter directement la « police des polices » s’ils sont victimes de discrimination, quelle qu’elle soit. C’est là un signe fort lancé par l’administration pour faire évoluer les mentalités.

En parallèle, nous travaillons avec les autres associations de défense des communautés LGBT, dans l’objectif de les inciter à venir déposer plainte dans les commissariats. Il y a toujours eu une grande méfiance de la part de ces personnes vis-à-vis de la police. Nous voulons rapprocher ces deux mondes pour faire en sorte qu’ils ne se regardent plus avec méfiance.

Chaque année, le nombre de plaintes déposées par les gays, lesbiennes ou trans augmente. C’est très positif, puisque ce n’est pas le signe d’une augmentation des agressions, mais celui que les gens commencent à venir au commissariat sans avoir peur d’être jugés.

Propos recueillis par Julia Mourri