30 ans, célibataire, et l’horloge biologique qui tourne. Que faire quand on a envie d’avoir un enfant sans forcément envisager une vie de couple. Emmanuelle a trouvé la solution avec Nicolas, homosexuel, qui rêvait d’être père. Elle s’est confié sur marieclaire.fr : « Si j’ai décidé de témoigner, c’est pour dire qu’il n’y a pas un seul modèle de famille. »
>> La première fois que nous avons discuté ensemble, c’était à un concert de la chanteuse Agnes Obel. Nicolas était avec un homme, et j’ai tout de suite compris qu’il était gay. On se connaissait de vue parce qu’on travaillait dans le même hôpital – moi comme infirmière, lui comme médecin. Nous nous sommes recroisés à plusieurs reprises dans des concerts. Puis un soir, il s’est produit une sorte coup de foudre amical.
Nous avions pas mal de points communs et presque le même âge, 30 et 32 ans. Nous étions célibataires tous les deux et avions envie d’aller vivre ailleurs. J’ai senti que c’était une rencontre importante. Quand il m’a raccompagnée à mon vélo en me disant : « On prend un café pour étudier le programme des prochains concerts ? », j’ai pensé : « Il y a longtemps qu’un homme ne m’a pas dit ça. Pas de chance qu’il soit gay. »
De mon côté, c’était compliqué. J’étais célibataire depuis longtemps, mais j’avais beaucoup de mal à me projeter dans une vie de couple, sans parler d’une vie de famille. J’avais accepté l’idée que je n’aurais peut-être jamais d’enfant. Puis, un peu avant mes 30 ans, j’ai réalisé que j’allais être très malheureuse si je passais à côté. Pour moi, l’idéal c’était donc de séparer couple et parentalité. Je ne savais pas comment m’y prendre, mais j’y réfléchissais. J’en avais même parlé à deux amis homos, qui m’avaient répondu qu’ils n’étaient pas prêts.
C’est Nicolas qui a tendu la première perche…
Je ne sais pas exactement à quel moment Nicolas et moi avons commencé à nous envisager l’un l’autre comme un parent possible. Il y a eu un premier déclic, un dimanche. Nous nous promenions sur les quais de la Loire, et Nicolas a dit : « Voir toutes ces poussettes, ce n’est pas toujours simple. » Ça a fait boum dans ma tête : je n’étais pas la seule à y penser. Je ne le savais pas à l’époque, mais Nicolas était beaucoup plus avancé que moi dans sa réflexion. Il s’était inscrit sur le site Co-Parents.fr et avait déjà pris contact avec un couple de lesbiennes avec qui ça n’avait pas marché. On a commencé à se voir beaucoup, on allait au cinéma, au restaurant, j’ai rencontré ses amis, je lui ai présenté mes copines. On parlait aussi de plus en plus souvent d’enfants de façon générale, sans aborder clairement le sujet « bébé ensemble ». C’est Nicolas qui a tendu la première perche. Un soir, à 2 heures du matin, il m’a demandé si je voulais un enfant, avant de lâcher : « En tout cas, sache qu’avec moi c’est possible. »
On avait un peu bu et, sur le coup, j’ai fait semblant de prendre ça comme une boutade. Sauf que je n’ai plus dormi. Je ressentais les mêmes symptômes que lorsque je suis amoureuse : un mélange de stress et d’euphorie. J’avais peur de me faire des idées et d’être terriblement déçue.
Nous avons décidé de procéder par auto-insémination
Au bout de quelques semaines, j’ai craqué. Il fallait que je lui pose la question franchement. On s’est donné rendez-vous sur les quais, on s’est assis sur un banc, face à la Loire, et j’ai lancé de but en blanc : « J’ai envie d’avoir un enfant. Je voulais savoir si tu voulais être le papa. » Il m’a répondu : « Ben oui, évidemment. » J’arrivais à peine à y croire. Depuis dix ans, mon karma n’était pas au top, et tout à coup ce que je désirais le plus arrivait. Nous avons fixé une date – juin de l’année suivante – et décidé de procéder par auto-insémination, c’est-à-dire à la maison, à l’aide d’une pipette qui s’achète en pharmacie. Ça ne pouvait pas être plus concret.
Mais auparavant, nous avons décidé de partir ensemble pendant trois semaines aux Etats-Unis. Nous avons profité de ce voyage pour mettre tout à plat. Chacun a rempli un carnet avec tous les sujets à poser sur la table pour que les choses soient claires entre nous, et nous les avons abordés l’un après l’autre : la religion, le mode de garde, le prénom, si notre enfant allait porter mon nom ou celui de Nicolas, s’il serait végétarien, comme moi, ce qu’on ferait si on tombait amoureux (et que des tiers entraient dans notre vie), comment gérer le budget éducation… C’est aussi là, dans un car, entre New York et Philadelphie, qu’on a décidé de commencer six mois plus tôt qu’initialement prévu, c’est-à-dire en janvier.
A notre retour, nous avons annoncé notre projet à nos proches. J’avais très peur de la réaction de mes parents. Je redoutais de déclencher une crise familiale. A ma grande surprise, ils ont été fous de joie. Ils m’ont tout de suite soutenue. Mon père, en particulier, m’a épatée. Ça n’a pas été le cas de ma bande de copines, dont j’étais pourtant très proche. Quand on leur a annoncé la nouvelle, au restaurant, avec Nicolas, elles ont d’abord trouvé ça génial… avant de m’appeler, après coup, pour me dire que je faisais une énorme erreur. Elles noircissaient d’avance notre tableau familial. C’était un coup de massue. Je n’ai pas compris ce revirement. Du jour au lendemain, j’ai cessé de les voir et mis un terme à notre amitié. Cela m’a beaucoup affectée.
Après le nouvel an, passé à l’île de Sein avec les amis de Nicolas, nous avons fait une première tentative par pipette, le 3 janvier. Nous avions beau avoir parlé d’« ovulation » et de « température » depuis des mois, c’était quand même une intimité particulière à partager. Pour dédramatiser, nous avions pris l’habitude de regarder une série québécoise hyperdrôle – « Le cœur a ses raisons » – après chaque tentative. Ça a marché à la troisième, après des semaines d’angoisse, pendant lesquelles j’ai cru être stérile. On y était : j’étais enceinte !
Après des mois d’une relation fusionnelle entre nous, il était moins présent, moins disponible
Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est que Nicolas tomberait amoureux juste à ce moment-là. Il m’avait prévenu que ça pouvait arriver n’importe quand, mais je ne pensais pas que je le vivrais aussi mal. Après des mois d’une relation fusionnelle entre nous, il était moins présent, moins disponible, et je me sentais soudain seule au monde. Je n’avais plus mes amies, les hormones me rendaient ultra-émotive, et je pleurais tous les jours. Nicolas s’est rendu compte de ma détresse. Il m’a appelée un soir pour me dire : « Je serai toujours là. » Et ça a été le cas. J’ai passé le cap des trois mois ; à six mois, j’étais dans une forme olympique ; à sept, je vendais mon appartement en quatre jours pour en acheter un autre dans le quartier de Nicolas.
Je me suis installée chez lui en fin de grossesse. J’avais ma chambre, mais on s’endormait parfois ensemble afin qu’il sente le bébé bouger. Il n’y a jamais eu d’ambiguïté sexuelle entre nous, mais on a partagé cette intimité des corps. L’accouchement a été un moment fort dans notre relation. J’étais terrorisée, et Nicolas a été très présent, jusque dans la salle de travail, où il parlait avec la sage-femme de la position qui me convenait le mieux.
Notre fils est né le 19 novembre 2013. On a d’abord vécu tous les trois chez Nicolas, puis je suis retournée dans mon appartement, au bout de trois mois. Un cap difficile. Je devais non seulement arrêter d’allaiter mais aussi me séparer de mon bébé la moitié du temps. Pendant plusieurs mois, je passais le voir tous les jours, quoi qu’il arrive. Aujourd’hui, notre fils a 2 ans. Nous avons trouvé notre rythme. La résidence alternée permet d’avoir du temps libre, de continuer à sortir. Avec Nicolas, nous dînons ensemble chaque mercredi et sommes toujours très proches, mais notre relation a évolué. Nous nous voyons moins qu’avant, nous sommes aspirés par notre vie de parents. Nous parlons parfois d’avoir un deuxième enfant, toujours ensemble.
Si j’ai décidé de témoigner, c’est pour dire qu’il n’y a pas un seul modèle de famille. Pour différentes raisons, nous ne nous reconnaissions pas dans le schéma classique. Nous sommes très fiers d’avoir osé être qui nous voulions être.