Théorie sexuelle : Freud et l’homosexualité

Dans une lettre de Freud adressée à une mère au sujet de l’homosexualité de son fils, que nous avions publié le 2 octobre dernier, le psychanalyste écrivait :

« L’homosexualité n’est certainement pas un avantage mais elle n’est pas honteuse, perverse ou dégradante ; elle ne peut être classifiée comme une maladie, nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, produite par un arrêt spécifique dans le développement sexuel.

Bien des individus fort respectables à des époques anciennes et modernes étaient homosexuels, et l’on retrouve parmi eux certains des plus grands hommes de notre temps. (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.).

Il est extrêmement injuste, mais aussi cruel, de persécuter les homosexuels comme des criminels… »

L’occasion pour le psychologue Jérome Lichtle, dans une tribune publiée sur le blog de francetvinfo.fr, de faire un point sur l’homosexualité vue par la psychanalyse et par Freud en particulier.

La genèse de l’homosexualité selon Freud

Dans Trois essais sur la théorie sexuelle1, Freud ne parle pas encore d’homosexualité. Il emploie le terme d’inversion qu’il considère comme une « déviation par rapport à l’objet sexuel ». Il nomme alors les personnes homosexuelles des « sexuels contraires » ou des « invertis ».
Pour Freud, « ni l’hypothèse, selon laquelle l’inversion est innée, ni l’autre, selon laquelle elle est acquise, n’expliquent la nature de l’inversion ». Selon lui, nous aurions une « disposition bisexuelle originelle qui se modifie au cours de l’évolution jusqu’à devenir monosexualité (…) ».

Freud tient donc compte d’une « prédisposition bisexuelle dans l’inversion (…) et qu’il s’agit là de troubles qui touchent la pulsion sexuelle dans son développement ».

Néanmoins, Freud conclue en écrivant qu’il se voit « dans l’impossibilité de fournir une explication satisfaisante de la genèse de l’inversion. »

Freud propose-t-il une cure pour « soigner » l’homosexualité ?

Freud ne souhaitait pas réellement modifier l’orientation sexuelle de ses patients (même si, selon lui, l’inversion « peut être modifiée par la suggestion hypnotique »). Il s’intéressait surtout à soulager les patients « en révolte contre le fait de leur inversion », qui ressentent leur homosexualité comme une « contrainte morbide ». Bref, il s’attachait surtout à aider les patients à mieux vivre leur homosexualité.

Freud avant-gardiste

À cette époque, l’homosexualité est surtout une affaire judiciaire et psychiatrique (aujourd’hui encore, l’homosexualité est condamnée par des peines d’emprisonnements dans de nombreux pays, et la Classification Internationale des Maladies de l’OMS conserve l’homosexualité comme diagnostic jusqu’en 1992).

En 1903, un scandale judiciaire impliquant une personnalité jugée pour son homosexualité, va amener Freud à s’exprimer ainsi : « L’homosexualité ne relève pas du tribunal et j’ai même la ferme conviction que les homosexuels ne doivent pas être traités comme des gens malades, car une telle orientation sexuelle n’est pas une maladie (…) Les personnes homosexuelles ne sont pas des malades ».

Selon la psychanalyste Ruth Menahem, malgré certaines ambiguïtés et contradictions dans les écrits de Freud, ce dernier aurait donc privilégié le courant de la « normalité » de l’homosexualité.

Le point de vue de la psychanalyse après Freud 

Néanmoins, le point de vue avant-gardiste de Freud ne fait pas l’unanimité dans la communauté psychanalytique. Ainsi, pour Lacan, les personnes homosexuelles seraient des malades qu’il faut guérir :

« Les homosexuels, on en parle. Les homosexuels, on les soigne. Les homosexuels, on ne les guérit pas. Et ce qu’il y a de plus formidable, c’est qu’on ne les guérit pas malgré qu’ils soient absolument guérissables » (t. 5 du Séminaire, 1957-1958)2.

Plus récemment, le psychanalyste César Botella s’exprimait ainsi sur le sujet : « À l’heure actuelle, avec l’accroissement des connaissances, tant au niveau de la théorie que de la pratique, il doit être possible d’affirmer que la psychanalyse est appelée à résoudre le problème de l’homosexualité ». Propos s’opposant à ceux de Freud : « La psychanalyse n’est pas appelée à résoudre le problème de l’homosexualité. »

Il n’existe donc pas un discours univoque sur l’homosexualité qui serait partagé par l’ensemble de la communauté psychanalytique. En ce qui concerne les thérapies destinées à « éduquer » les personnes homosexuelles pour les rendre hétéros (« thérapie de conversion »), elles ne sont bien sûr plus recommandées par les autorités de santé mentale. Malheureusement, pour des raisons culturelles et religieuses ces traitements existent encore. C’est justement le cas au Royaume-Uni avec les « thérapies de conversion » qui sont toujours pratiquées).

Sources :

  1. Freud, S. (1987). Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris : Gallimard
  2. Menahem Ruth, « Désorientations sexuelles. Freud et l’homosexualité », Revue française de psychanalyse 1/ 2003 (Vol. 67), p. 11-25.