Tribune. Libé : De l’UMP au FN, Sébastien Chenu, triste dindon de la farce

On connaissait déjà les Arabes alibis de la famille Le Pen. Désormais, il y a les gays alibis de Marine Le Pen. C’est malheureusement à cette pathétique parodie que se prête Sébastien Chenu – cofondateur comme moi-même – de GayLib (1), en ralliant le FN pour prendre en charge les dossiers culturels.

Comment peut-on ignorer que l’extrême droite a toujours eu pour stratégie de s’approprier les valeurs de ses adversaires pour les dévoyer et alimenter sa haine des autres ? Il en est ainsi de la laïcité – utilisée uniquement contre l’islam – de la nation – utilisée non pour rassembler mais pour exclure – de la défense des «classes populaires» – utilisée pour stigmatiser l’élite et les bobos jugés trop progressistes et trop ouverts sur la réalité du monde. Désormais, c’est au tour des gays de faire les frais de cette instrumentalisation afin de laisser entendre que Marine Le Pen serait «moderne», qu’elle aurait dé-diabolisé le Front national. La ficelle est un peu grosse alors même que le substrat idéologique de Marine Le Pen repose sur une vision très conservatrice de la famille et de la société, dans laquelle la religion et la référence à «l’ordre naturel» sont omniprésentes.

Ainsi, après avoir été détestés et rejetés, les gays (les lesbiennes semblent ne pas exister dans l’environnement de Marine Le Pen) ne seront qu’un simple outil supplémentaire au service du Front national pour mieux opposer les uns aux autres. Comment Sébastien Chenu peut-il manquer à ce point de discernement ? Ne pas savoir maîtriser son ego, ne pas savoir résister à la tentation d’un strapontin, d’un emploi d’attaché parlementaire ou d’une perspective de candidature dans un canton ne peut être une excuse.

Mais cette situation sans doute n’existerait pas si l’UMP n’avait pas exploité, à outrance, les thématiques liées à l’homosexualité. A la différence d’autres grands partis de droite européens, elle en a fait un sujet artificiellement clivant. En premier lieu, Nicolas Sarkozy n’a tenu aucun de ses engagements de 2007, qu’il s’agisse de l’union civile comme du statut de beaux-parents destiné notamment aux familles homoparentales. Ensuite, la droitisation du discours de l’UMP a précipité celle-ci dans le piège de la Manif pour tous. On connaît la suite. Alors que la loi ouvrant le mariage civil aux couples de même sexe a été promulguée le 17 mai 2013, l’UMP continue toujours de faire de ce sujet un enjeu électoral interne. La récente nomination par Nicolas Sarkozy de Madeleine Bazin de Jessey – porte-parole de Sens commun – comme secrétaire nationale de l’UMP et la disparition simultanée du secrétaire national chargé de la lutte contre l’homophobie marquent bien une évolution préoccupante.

Confrontés à cette stigmatisation, à cette inconstance et à ces lâchetés, il est normal que les électeurs gays, lesbiens, leurs familles et leurs amis se détournent de l’UMP. Il est normal que les adhérents et les cadres concernés de l’UMP prennent eux aussi la fuite. Sébastien Chenu est au nombre de ceux-là. Alors que la quasi-totalité des adhérents de GayLib avait fait le choix de rejoindre l’UDI, en janvier 2013, avec l’appui de Jean-Louis Borloo, alors que plusieurs dirigeants de l’UDI ont voté en faveur du mariage pour tous, Sébastien Chenu a fait le choix de rejoindre Marine Le Pen. Affirmer, comme il l’a fait, que la position de Marine Le Pen visant à promouvoir un «pacs amélioré» serait similaire à la position de GayLib à ses débuts est un gros mensonge.

Alors que j’en étais président, la priorité de notre mouvement, alors associé à l’UMP, était bien d’aller, par étapes, vers l’ouverture du mariage civil. En premier lieu, nous avons obtenu – avec l’aide de Jean-Pierre Raffarin et de plusieurs parlementaires – l’amélioration du pacs, et particulièrement sur les successions. Ce travail a été fait, il appartient au passé et ne peut donc plus être un projet politique.

L’union civile appartient, elle aussi, au passé et il faut qu’elle y reste. Le fait de voir Nicolas Sarkozy, la Manif pour tous, Marine Le Pen, et désormais Sébastien Chenu parler d’union civile ou de pacs amélioré est donc particulièrement consternant. Tout cela ne fait que souligner la profonde hypocrisie, le mépris et la malhonnêteté intellectuelle de ces personnes. Nos concitoyens gays et lesbiens ne demandent que l’égalité et le respect. Le mariage pour tous en était l’une des traductions, et GayLib a mobilisé toute son énergie pour y parvenir et sensibiliser les parlementaires de l’UDI et au-delà. Parmi eux Jean-Christophe Lagarde – nouveau président de l’UDI – et Jean-Louis Borloo – ancien président de l’UDI – ont voté pour le mariage pour tous.

Il y a treize ans de cela, nous avons créé GayLib, non pas par opportunisme, mais pour faire bouger les lignes au sein de notre famille politique pour avancer ensemble sur la voie du progrès et du respect. Cette réalité a dû échapper à Sébastien Chenu, et il est particulièrement indécent qu’il puisse citer constamment le nom de GayLib à l’occasion de son rapprochement avec Marine Le Pen. Son cynisme est une trahison pitoyable de notre engagement, à droite et au centre, pour l’égalité.

(1) GayLib : mouvement, aujourd’hui associé à l’UDI, destiné à évoquer les problématiques politiques et sociales liées à l’homosexualité. GayLib fut créé en 2001 au sein de Démocratie libérale puis a signé un protocole d’association avec Alain Juppé lors de la création de l’UMP.

Stéphane DASSÉ Cofondateur et ancien président de GayLib, conseiller national de l’Union des démocrates et indépendants (UDI)

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