Les autorités tunisiennes « confisquent et parcourent les téléphones d’hommes soupçonnés d’actes homosexuels, les contraignant à subir des examens anaux et à avouer leur orientation sexuelle », indique Human Rights Watch, qui a mené des entretiens avec six hommes poursuivis en 2017 et 2018 en vertu de l’article 230 du code pénal, qui punit jusqu’à trois ans de prison des comportements consentis entre individus du même sexe. « Les procureurs se servent ensuite des informations ainsi recueillies pour poursuivre ces individus en justice. »
L’un des hommes interrogés n’avait que 17 ans la première fois qu’il a été arrêté. L’ONG a également examiné les dossiers judiciaires de ces affaires et cinq autres ayant abouti à des poursuites. Outre qu’elles constituent une violation du droit à la vie privée, ces affaires sont marquées par des allégations de mauvais traitements infligés en détention par la police, d’extorsion d’aveux, et de déni de leur droit d’accéder à un avocat.
La police a arrêté certains de ces hommes lors de différends survenus entre eux ou après signalement par leurs voisins. Deux d’entre eux s’étaient rendus à la police pour porter plainte pour viol. Certains ont passé des mois en prison. Au moins trois d’entre eux ont quitté la Tunisie et demandé l’asile dans des pays européens.
Un adolescent âgé de 17 ans a été arrêté à trois reprises pour sodomie et contraint de subir un examen anal et une thérapie de conversion pendant des mois dans un centre de détention pour mineurs. Ces deux pratiques dangereuses sont discréditées.
Le 21 septembre 2017, lors de son Examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, la Tunisie s’était pourtant engagée à ne plus imposer le test anal, qui aura largement appuyé ces dernières années les procureurs dans leur recherche de « preuves ». Ils ne sont plus forcés, mais pratiqués « avec le consentement de la personne et en présence d’un expert médical ».
Ces examens constituent « un traitement cruel, dégradant et inhumain pouvant relever de la torture », rappelle Human Rights Watch, estimant que cette position tunisienne « n’est pas tenable dans la mesure où les tribunaux peuvent conclure que le refus de subir l’examen est un signe de culpabilité ». La Tunisie devrait donc y renoncer définitivement, sans le lier au consentement.
Les poursuites judiciaires pour relations sexuelles consenties entre adultes constituent une violation des droits à la vie privée et à la non-discrimination, tous deux protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel la Tunisie est partie, ajoute HRW.
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui surveille le respect de cet instrument juridiquement contraignant, a déclaré que l’orientation sexuelle est un statut protégé de toute discrimination. Le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a conclu que les arrestations pour comportement homosexuel entre adultes consentants sont, par définition, arbitraires.
L’article 24 de la Constitution tunisienne de 2014 contraint le gouvernement à protéger le droit à la vie privée et l’inviolabilité du domicile. L’article 21 dispose que « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination ». L’article 23 interdit « la torture morale ou physique ».
Le Code de procédure pénale interdit les perquisitions à domicile et la saisie d’objets susceptibles de faire l’objet d’une enquête pénale en l’absence de mandat judiciaire, sauf en cas de flagrant délit, c’est-à-dire lorsqu’une personne est prise sur le fait.
L’article 1 de la loi n° 63 sur la protection des données à caractère personnel stipule que « toute personne a le droit à la protection des données à caractère personnel relatives à sa vie privée comme étant l’un des droits fondamentaux garantis par la constitution et ne peuvent être traitées que dans le cadre de la transparence, la loyauté et le respect de la dignité humaine». Toutefois, ni la loi n° 63 ni aucune autre loi domestique ne règlemente les conditions de la saisie de données personnelles pendant une enquête de police ou leur utilisation.
Le 12 juin, la Commission sur les libertés individuelles et l’égalité, établie par le président Beji Caid Essebsi, a proposé, entre autres mesures, de dépénaliser l’homosexualité et de mettre fin aux examens anaux dans le cadre des enquêtes pénales relatives à l’homosexualité. Elle a également proposé de criminaliser « l’interception, l’ouverture, l’enregistrement, la diffusion, la sauvegarde et la suppression » illicites d’un message électronique.
Le 11 octobre, 13 membres du Parlement tunisien ont présenté un projet de loi sur un code des libertés individuelles. Ce code inclut plusieurs propositions de la commission présidentielle, notamment l’abrogation de l’article 230.
HRW exhorte ainsi le Parlement à agir rapidement et promulguer une loi « qui protège efficacement la vie privée des personnes en encadrant la saisie et l’utilisation de données à caractère personnel dans le cadre d’enquêtes pénales, avec des conséquences en cas de violation de cette loi. »
Dans l’intervalle, le ministère de la Justice devrait enjoindre aux procureurs de mettre fin aux poursuites engagées et le ministère de l’Intérieur, « à enquêter sur les informations faisant état de mauvais traitements infligés à des personnes arrêtées en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. »
Pour consulter l’ensemble des entretiens : Abus infligés à des homosexuels en Tunisie.