Dans Au sujet de l’Islam, un livre d’entretien paru ce jeudi en France, Rached Ghannouchi, se confie au journaliste français Olivier Ravanello en commentant des sujets d’actualité, sa vision de la politique, de l’Etat et de la société sous le prisme de l’Islam politique.
Blasphème, censure, égalité des sexes, homosexualité ou avortement, le Chef d’Ennahdha, parti politique tunisien et organisation proche des Frères musulmans, donne sa position quant au rôle que doit jouer l’Etat sur des sujets souvent polémiques. S’il soutient que les particularités de sociétés arabo-musulmanes justifient certaines formes de censure, il peut se montrer plus ou moins libéral sur ce qui touche à la vie privée.
« Le blasphème est interdit »
« Il y a un humour juif qui moque sa propre religion, peut-il y avoir un humour musulman? », s’interroge Olivier Ravanello.
« Le juif peut se moquer de sa propre religion, mais il ne peut pas le faire de celle des autres. Le musulman, lui, n’a le droit de se moquer ni de sa propre religion ni de celle des autres », assure Rached Ghannouchi, affirmant qu’en Tunisie :
« Le blasphème est interdit, de même que la liberté de conscience et la liberté d’opinion sont protégées par la Constitution. Tu as donc le choix d’être musulman ou pas, mais tu n’as pas le droit de te moquer des croyances des autres ».
Même si dans la législation tunisienne le blasphème n’est pas explicitement prohibé, la Constitution interdit « l’atteinte au Sacré », sans que la notion de ce qui est « sacré » ne soit définie. Les cas de condamnations pénales ayant trait au blasphème sont principalement basés sur le « trouble à l’ordre public » ou encore l’atteinte aux bonne moeurs.
Censure à géométrie variable
A propos de la polémique suscitée par le journal satirique Charlie Hebdo, Rached Ghannouchi juge qu’il devrait être interdit en Tunisie, mais que les musulmans de France devraient pouvoir l’accepter.
« Faudrait-il (…) interdire un Charlie tunisien? »
« Oui, s’il est la cause de troubles à l’ordre public. Toute société doit pouvoir assurer sa sécurité. Ce qui est autorisé peut différer d’une société à l’autre. Ce qui est accepté dans une société peut ne pas l’être dans une autre », affirme le président d’Ennahdha.
Ainsi, M. Ghannouchi estime qu’en France, les musulmans doivent accepter Charlie Hebdo, si le journal est accepté par la « société ». « La loi est différente d’un pays à un autre, la culture française est différente de la culture arabe. Et c’est normal. Il faut donc s’y adapter », insiste-t-il.
Mais s’il juge qu’un « Charlie tunisien » devrait être interdit, Rached Ghannouchi se contredit en réponse à une question sur la nécessité de bloquer des sites internet afin d’endiguer les discours religieux extrémistes:
« L’interdiction n’est plus vraiment possible de notre temps. Les moyens techniques, internet rendent l’interdiction assez illusoire. L’époque est finie où l’on contrôlait les imprimeries et ce qui en sortait. Aujourd’hui les mots, les textes circulent. Pour les endiguer, mieux vaut miser sur la formation des esprits ».
Contre la criminalisation de l’homosexualité
Plus surprenante, la position du leader islamiste au sujet des pratiques homosexuelles.
« Nous ne l’approuvons pas. Mais l’islam n’espionne pas les gens. Il préserve la vie privée. Chacun mène sa vie comme il le veut et chacun est responsable devant son créateur », assure-t-il.
Selon cette logique, Rached Ghannouchi affirme ainsi être contre la criminalisation des pratiques homosexuelles, « car la loi ne poursuit pas les gens dans leur vie privée ». « Ce qui se passe dans votre maison ne regarde personne, c’est votre choix et personne n’a le droit d’y entrer et de vous interdire ceci ou cela », ajoute-t-il.
Les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe sont pourtant passibles de trois ans d’emprisonnement, selon l’article 230 du Code pénale tunisien. La recommandation émise par le Conseil des droits de l’Homme de Genève visant à abroger cet article avait été refusée par Samir Dilou, alors ministre de la Justice transitionnelle et des Droits de l’Homme et membre d’Ennahdha.
Contre l’avortement, « sur le principe »
Interrogé sur l’avortement, Rached Ghannouchi estime qu’il ne faut pas le « permettre », « sur le principe », car « il s’agit d’une agression contre la vie ». Il considère que la femme peut éviter de tomber enceinte, y compris en ayant recours aux moyens de contraception.
Mais M. Ghannouchi n’est pas catégorique et fait la différence entre une interruption de grossesse après une période de gestation de quatre à cinq mois, qu’il assimile à un « meurtre » et un avortement effectué « avant le développement du foetus », qu’il juge « possible ».
Amendé en 1973, l’article 214 du Code pénal autorise l’interruption volontaire de grossesse, quelles que soient les raisons, dans les trois premiers mois. L’avortement est autorisé au-delà de cette période, pour des raisons de santé ou d’équilibre psychique.
Egaux mais pas vraiment
« L’égalité est le principe sur lequel se construit le rapport hommes-femmes », déclare Rached Ghannouchi, ajoutant que les femmes doivent « sans aucun doute » avoir les mêmes droits que les hommes.
Mais pour la question de l’héritage ou du chef de famille, l’égalité laisse place à un principe d’équité. « Pour l’héritage, il faut tenir compte des entrées et des sorties, des gains et des dépenses », explique Rached Ghannouchi pour qui l’homme est tenu de subvenir aux besoins de sa famille, contrairement à la femme qui sera prise en charge par son père, son mari ou encore son fils.
« L’héritage ne reflète pas la valeur de la femme par rapport à l’homme, ils sont égaux par rapport à la valeur humaine, mais ils n’ont pas les mêmes devoirs et droits dans la société ».
« Dans la situation normale, le chef de famille est l’homme », soutient enfin Rached Ghannouchi.
Par : Monia Ben HamadiHuffPost Tunisie