La semaine dernière, à Montego Bay, en Jamaïque, Dwayne Jones, 16 ans, a reçu plusieurs balles et des coups de couteau parce qu’il s’était pointé à une soirée habillé en fille. Certaines sources rapportent que Jones était transgenre, et ce meurtre a remis en lumière la dure réalité du quotidien des pédés et transexuels en Jamaïque. En effet, c’est plutôt tendu.
En 2006, le magazine TIME a qualifié la Jamaïque de « pays le plus homophobe du monde ». Il faut dire que l’homophobie est présente partout, notamment dans les médias et dans le style musical le plus en vogue dans le pays, le dancehall. Le Jamaica Gleaner, l’un des magazines les plus influents du pays, publie régulièrement des articles relatifs à la communauté gay, systématiquement avec un angle homophobe. Le mois dernier, il parlait d’un groupe de mecs qui s’étaient fait expulser d’une maison abandonnée en les qualifiant de « repaire à pédés » et a publié un édito qui rejetait l’idée que l’homme puisse naître homo ; dans celui-ci, on lisait que les personnes attirées par des gens du même sexe l’étaient volontairement, de la même façon que « les Français mangent des escargots » ou que certaines personnes « aiment le goût de la banane ».
Le lendemain du décès de Dwayne Jones, j’ai contacté Tiana Miller, un transgenre jamaïcain qui vit sa sexualité comme un homme et qui n’a visiblement pas peur de se faire péter la gueule par les millions d’homophobes qui peuplent son pays.
Salut Tiana. À quel âge avez-vous réalisé que vous étiez transgenre ?
Tiana Miller : J’avais environ 5 ans quand j’ai commencé à penser comme une fille. Ensuite, j’ai progressivement réalisé que je me sentais plus à l’aise dans la peau d’une femme. C’était difficile à cause des normes sociales de mon pays et j’avais vraiment l’impression de faire quelque chose de mal.
Votre famille et vos amis vous ont-ils soutenue ?
Oui, beaucoup, surtout mon père.
Et qu’en est-il de la société jamaïcaine au sens large ? Êtes-vous d’accord avec cette idée qui voudrait que la Jamaïque soit « le pays le plus homophobe du monde » ?
Oui, je suis d’accord. Les défis auxquels on doit faire face sont difficiles à surmonter ; ça complique tout ce qui touche au travail, à la scolarité et au logement. Au lycée, ça allait parce que je n’avais pas encore opéré ma transformation, mais aujourd’hui, ma scolarité est plus difficile. J’aimerais avoir un diplôme, mais on ne me laissera pas aller à l’université.
C’est horrible. Et j’imagine qu’en Jamaïque, les gays sont handicapés d’un point de vue économique s’ils ne peuvent pas avoir de scolarité convenable – trouver un boulot devient une épreuve.
Ouais, ils sont obligés d’être pauvres. Les plus chanceux se mettent en couple avec quelqu’un de riche qui consacrera toute sa vie à leur couple.
Plusieurs cas de violences policières envers les gays ont été médiatisés ces derniers temps en Jamaïque. À vos yeux, est-ce que la police offre aux transgenres la protection dont ils ont besoin ?
Non, pas du tout. Dans ma rue, je vois tous les jours des transgenres sans domicile et la police, qui devrait les protéger, les rabaisse littéralement et les chasse aux frontières de la ville, juste à cause de leur style de vie.
Les transgenres qui finissent à la rue constitue-t-il un problème très répandu en Jamaïque ?
Oui ; ces derniers se retrouvent à la rue parce qu’ils sont incapables d’avoir les revenus nécessaires pour louer une maison dans laquelle ils pourraient vivre en sécurité.
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Vous-même avez déjà été agressée physiquement à cause de votre genre ?
Oui, j’ai été agressée par le passé. J’ai couru, donc ils ne m’ont pas fait trop de mal, mais, naturellement, cette expérience m’a traumatisée.
Donc si je comprends bien, certains endroits sont inaccessibles aux gays et transgenres.
Évidemment, et surtout dans les quartiers pauvres !
Je me souviens avoir lu des sujets sur plusieurs agressions homophobes en Jamaïque – c’était terrifiant. Par exemple, un militant pour les droits des gays s’était fait tuer à la vue de tous et les riverains avaient fini par faire la fête autour de son cadavre. Ce genre de trucs vous fait-il peur pour votre sécurité ?
Bien sûr que oui. Je sors dans la rue, mais je reste conscient des vices de ces homosapiens homophobes !
Beaucoup de gens osent manifester librement leur sexualité en Jamaïque ?
Les communautés gay et transgenre ne sont pas unies, et comme la plupart des gays ont peur de se faire tuer, il n’y en a pas beaucoup qui se rattachent à ces communautés.
Vous considérez comme courageux le fait d’avoir exprimé librement votre genre et votre sexualité ?
Oui, je le suis. Si je souhaite que les choses changent, je dois y travailler moi-même. J’ai dû me montrer dans la rue pour que les gens sachent que les transgenres existent et qu’ils constatent par eux-mêmes que nous sommes des gens normaux qui essaient de mener une vie normale – comme tout être humain. Je crois que nous avons besoin de gens comme moi, qui essaient de changer ce pays et son gouvernement.
Les médias tiennent souvent le dancehall pour responsable de l’homophobie ambiante en Jamaïque. Vous en pensez quoi ?
Je crois que la plus grosse pierre apportée à l’édifice de l’homophobie est à mettre au crédit de l’Église et des valeurs sociales qu’elle véhicule sur ce qui est bien et ce qui est mal. Je ne comprends pas comment des êtres humains peuvent être aussi cruels et avoir autant de préjugés, simplement parce que l’Église déclare : « Vous, homosexuels, êtes des démons » et qu’elle nous traîne dans la boue au lieu d’essayer de nous parler, ou simplement, de nous aborder.
Je ne pensais pas que l’Église jamaïcaine y était pour quelque chose.
Eh ouais. Mais vous savez quoi, je m’en fous royalement.
Existe-t-il des clubs ou des bars de nuit LGBT à Kingston ?
Figurez-vous qu’il y en a eu un, il y a dix ans, mais aujourd’hui il est fermé. Il ne reste que de rares événements, très ponctuels, dans des lieux spécialement loués pour l’occasion.
Pensez-vous que la Jamaïque finira par adoucir ses lois anti-sodomie et adoptera une position différente concernant l’homosexualité ?
Je crois que le changement est en cours, en effet.
Vous dites ça parce que la culture gay prend de l’ampleur ou à cause de la pression des autres pays ?
Les deux. Mais l’avenir nous le dira, et je préfère ne pas me prononcer pour le moment.
Vous vous voyez où, aujourd’hui ?
Je me vois comme le premier transgenre à avoir un rôle d’ambassadeur pour ce pays. Je veux me battre pour les droits de l’homme ; je souhaite aussi devenir chorégraphe, féministe et tout un tas d’autres trucs.
Merci beaucoup, Tiana.
Par Nick Chester (vice.com)