Comme certains enfants, Antonio a deux mamans. Ce petit garçon de 14 mois, né d’une insémination artificielle, est le fils de Susana Güichal, qui l’a porté, et de Valeria Gaete, son épouse. Mais depuis un mois et demi, Antonio a aussi un papa : l’état civil de la province de Buenos Aires a accepté fin avril de reconnaître son géniteur, Hernán Melazzi, comme son père officiel. Le petit garçon a désormais officiellement trois parents, qui ont les mêmes droits et les mêmes obligations envers lui, trois noms de famille, six grands-parents et « beaucoup d’amour », précise Hernán Melazzi.
Tout part d’un triple désir d’enfant : celui de deux femmes de 39 ans vivant en couple depuis onze ans, et celui d’un homme, ami de longue date, homosexuel lui aussi. « J’ai toujours voulu être père, explique Hernán Melazzi, un acteur de 38 ans. Pour moi, il n’y avait que deux solutions : l’adoption ou la gestation pour autrui. La GPA, c’était hors de question. Et les démarches pour l’adoption sont trop longues. » De leur côté, Susana, pédiatre, et Valeria, restauratrice, voulaient un père présent et impliqué dans l’éducation de leur enfant. « Surtout pas un donneur anonyme », précise Valeria Gaete. Neuf mois après l’insémination artificielle, Antonio voit le jour à l’hôpital de Mar del Plata, où exerce Susana.
Une demande acceptée du premier coup
Reste ce qui semble le plus difficile à obtenir : être tous les trois reconnus comme parents légaux. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les deux femmes ont d’abord déclaré Antonio comme enfant du couple. En Argentine, où le mariage entre personnes du même sexe est légal depuis 2010, la procréation médicalement assistée (PMA) est autorisée
et couverte par la Sécurité sociale pour toutes les femmes « quels que soient leur état civil et leur orientation sexuelle » depuis 2013. La première étape du processus n’a donc posé aucun problème. « En revanche, nous pensions qu’il faudrait nous battre devant la justice pour que Hernán soit reconnu comme père d’Antonio », se souvient Valeria. Les trois parents contactent alors la Fédération argentine de lesbiennes, gays, bisexuels et trans (FALGBT), qui prépare un recours judiciaire pour le cas où la demande serait refusée.
Surprise : la réponse est positive. Lors de la cérémonie, largement médiatisée, de la remise du nouveau certificat de naissance, le chef de cabinet de la province de Buenos Aires, Alberto Pérez, déclare : « Cette réalité familiale mérite protection et tutelle de l’Etat. » C’est la première fois, en Amérique latine, qu’une triple filiation est établie sans recours à la justice. En 2013, un cas similaire s’était présenté au Brésil, mais c’est un juge qui avait tranché favorablement. La même année, à Miami, aux Etats-Unis, un donneur de sperme avait aussi fait appel aux tribunaux.
Une décision très politique
La nouvelle a néanmoins soulevé quelques protestations dans le pays. Le journal conservateur La Nación a parlé de « violations de l’ordre naturel ». « On agite toujours la peur de la destruction de la famille, analyse Esteban Paulón, président de la FALGBT. Mais la loi sur le mariage pour tous ou celle sur la PMA ne font que reconnaître des réalités existantes. Avant, les enfants naturels n’avaient pas les mêmes droits que les enfants légitimes, et puis la loi
a changé. » Pour lui, la décision d’accepter la demande des trois parents a d’abord été politique, à six mois de l’élection présidentielle, et alors que le gouverneur de la province de Buenos Aires, Daniel Scioli, est pré-candidat. « Comme il est très catholique, nous pensions que nous aurions à batailler, mais il a dû profiter de l’occasion pour marquer des points auprès de la communauté LGBT », considère Esteban Paulón. En Argentine, la défense des droits des homosexuels ou des transsexuels est en effet perçue comme pouvant faire gagner des voix.
Aujourd’hui, Antonio vit avec ses deux mamans à Mar del Plata, à 400 kilomètres au sud de Buenos Aires. Son père, qui habite la capitale, va le voir le plus souvent possible et Valeria et Susana font le trajet inverse une fois par mois. « Quand il sera un peu plus grand, il viendra passer quelques jours seul avec moi », s’impatiente Hernán Melazzi. Son cas, espèrent les trois parents, sera un exemple pour d’autres. « Notre famille est reconnue et protégée, se réjouit Valeria Gaete. J’espère que d’autres le seront bientôt aussi. » Pour l’heure, l’administration doit résoudre le casse-tête de l’impression de la nouvelle carte d’identité, où deux lignes seulement sont prévues pour le nom des parents.
Interview (en espagnol) des trois parents d’Antonio : “Nous ne concevions pas d’autre modèle familial pour notre fils”
Angeline Montoya
Journaliste au Monde