Les mots se détachent en lettres gothiques sur la tour du clocher, au-dessus d’un Guillaume Tell à l’allure conquérante: «Gott und Freiheit»: Dieu et liberté. La fresque date du Moyen Age, mais pour les habitants de Bürglen, dans le canton d’Uri, elle n’a peut-être jamais revêtu autant de sens qu’aujourd’hui. Le petit village est entré en résistance le 7 février, le jour où son prêtre Wendelin Bucheli a refusé d’obéir au diocèse de Coire.
Le très conservateur évêque de Coire, Vitus Huonder, a réclamé au début du mois la démission de l’abbé, accusé d’avoir «consciemment contredit la doctrine de l’Eglise». En octobre dernier, Wendelin Bucheli a accordé sa bénédiction à un couple de lesbiennes. La cérémonie s’est déroulée dans l’église. Une annonce a ensuite été publiée dans la feuille d’information de la paroisse, «par erreur» selon ses responsables, sous la rubrique des mariages. Inacceptable pour le diocèse, qui voit dans ce geste un affront au sacrement réservé à l’union d’un homme et d’une femme. Or le prêtre, soutenu par les villageois et les autorités de sa commune, refuse de partir.
Wendelin Bucheli, encore affaibli par une attaque cérébrale survenue en novembre, se tient à l’écart de la tempête médiatique. Mais son nom est sur toutes les lèvres. Aucune voix, dans ce village de 4000 âmes, 90% catholiques, ne s’élève aujourd’hui pour critiquer son geste. S’il existe des personnes que la bénédiction d’un couple homosexuel aurait choquées, elles se murent aujourd’hui dans le silence. «Ici, on ne va pas à l’église par conviction, mais pour notre prêtre. Je n’ai rien contre la bénédiction d’un couple de lesbiennes, ni contre le mariage homosexuel d’ailleurs. Ce qui me dérange, c’est qu’on essaie de nous prendre notre prêtre», tonne ce retraité borgne assis au fond d’un bar. Six têtes acquiescent en silence. Aucune des personnes présentes autour de la table pourtant ne se rendra à l’église ce soir: «On a trop dû y aller, enfants. Chaque jour après l’école, en plus du catéchisme!»
Dehors, les fidèles se pressent aux abords de la chapelle pour ne pas manquer la séance d’information extraordinaire prévue ce jeudi soir. Le vice-président du conseil de paroisse Peter Vorwerk prend la parole face à une rangée de bancs noirs de monde. Il se veut rassurant: la vie continue, fêtes, mariages et enterrements auront lieu comme prévu. «Notre prêtre est toujours là», dit-il dans un geste en direction de Wendelin Bucheli, déclenchant aussitôt un concert d’applaudissements. Le prêtre, enfin, se lève, le temps d’une apparition fugace, pour bénir l’assemblée et réciter un «Notre Père», avant de s’en aller. Les membres de la paroisse veillent à ce que son chemin ne croise pas celui d’un journaliste. En sortant de l’édifice, les fidèles affichent des mines sombres: ce n’est pas aujourd’hui qu’ils seront fixés sur le sort de leur «berger». La paroisse a envoyé deux lettres à l’évêché de Coire, restées à ce jour sans réponse, pour réclamer un dialogue «en terrain neutre».
«Je suis heureux de voir à quel point la communauté se tient derrière son prêtre», soupire Erich Herger, attablé au café Adler. Dans un coin de ce vieux chalet trône un aigle empaillé, figé dans un dernier mouvement d’ailes. L’ancien rédacteur en chef de l’Urner Wochenblatt ne conçoit pas son village sans son abbé. «Il a une manière juste de penser et de vivre la foi. Il aime les gens tout simplement.» Erich Herger, la cinquantaine, se dit pourtant agnostique. Aujourd’hui, il écrit et cultive la vigne. L’un des derniers ouvrages auxquels il a collaboré parle de Guillaume Tell. Lui qui fut aussi président de commune aime voir dans cette figure mythique une source d’inspiration pour les Uranais: «Nul ne sait s’il a existé. Ce qui compte, c’est ce qu’il représente: l’indépendance, la liberté. C’est cela, Uri.»
Les yeux plissés, Erich Herger se remémore son premier contact avec le diocèse, une vingtaine d’années plus tôt: l’évêque Johannes Vonderach le convoquait suite à un article critique, pour lui faire comprendre que sa couverture des affaires religieuses ne lui plaisait pas. «Uri a toujours eu des démêlés avec l’évêché. C’est un jeu de pouvoir.» «La Suisse centrale s’est battue il y a 700 ans pour pouvoir choisir ses prêtres!» s’insurge Urban Camenzind, lui aussi ancien président de la commune de Bürglen, aujourd’hui conseiller d’Etat PDC d’Uri.
Au cœur du village, un drapeau arc-en-ciel, symbole de fierté gay, flotte à la fenêtre d’un chalet. Le village natal de Guillaume Tell n’est pas devenu pour autant fief de la lutte pour les droits des homosexuels. Dans le très catholique berceau de la Suisse, on vote d’ordinaire majoritairement UDC ou PDC. «Nous n’avons pas l’intention de faire une révolution, explique Peter Vorwerk. Nous avons notre façon conservatrice d’être ouverts: en acceptant la différence, sans forcément nous battre pour la revendiquer. Ici, même ceux qui ne sont pas d’accord avec la bénédiction d’un couple homosexuel se montrent tolérants.»
Une posture qui doit beaucoup à la personnalité de Wendelin Bucheli. Le prêtre a quitté le diocèse de Fribourg en 2004 pour s’installer en Suisse centrale. On raconte qu’une crise existentielle est à l’origine de son départ: il aurait souhaité fonder une famille. Depuis qu’il officie à Bürglen, à défaut d’amener les villageois à l’église, il a amené l’église au village. «Il participe à toutes les fêtes et les événements. Il connaît chacun par son nom. C’est un vrai guide spirituel. Ici, on ne peut pas séparer la religion de la société, et c’est pour cela que l’Eglise doit accepter les couples homosexuels», explique Markus Frösch, président de la commune depuis le début de l’année.
Hans Gisler, venu assister ce soir-là au rassemblement paroissial, s’emporte: «L’Eglise ne parle plus à personne. Comment peut-elle enlever à une commune un prêtre qui sait parler aux jeunes?» Le président de la Landeskirche d’Uri n’est pas le seul à s’en émouvoir. Une douzaine de chefs de paroisse, dans le canton, ont écrit une lettre au diocèse pour lui demander de revenir sur sa décision. Dans une lettre ouverte à l’évêque, les Jeunes démocrates-chrétiens d’Uri expriment leur «consternation». «Ce que le prêtre a fait est juste: il s’inscrit dans son époque», écrivent-ils. Dans le village voisin d’Altdorf, rapporte l’Urner Wochenblatt, une quinzaine de fidèles dépités ont quitté l’Eglise.
Céline Zünd – letemps.ch
Pétition pour soutenir le curé de Bürglen, menacé pour avoir béni un couple lesbien : https://www.stophomophobie.com//petition-solidaire-pour-soutenir-le-cure-de-burglen-menace-de-sanctions-pour-avoir-beni-un-couple-lesbien/
Adamim : La très discrète association suisse des religieux homosexuels https://www.stophomophobie.com//adamim-la-tres-discrete-association-suisse-des-religieux-homosexuels/