Vérités et discriminations : Ce que la « manif pour tous » dit aussi des rapports hommes/femmes

Ça commence par un logo, celui qui représente la famille idéale : papa tient la main de maman (toujours figurée un peu plus petite que son conjoint en dépit du fait que la taille des femmes ait davantage crû que celle des hommes dans les trente dernières années), papa tient la main du petit garçon, maman celle de la petite fille. Chacun le sien. Les filles sont en jupe, les garçons sont en pantalon. Les clichés, c’est bien, ça permet de se repérer plus facilement.

Ça se poursuit par des slogans : « Papa et maman, il n’y a pas mieux pour un enfant » (les parents veufs et célibataires et leurs enfants apprécieront), « Touche pas à ma parité » (ah! tiens, tout à coup, dans la sphère intime, c’est important d’avoir autant de femmes que d’hommes, quand ce n’est pas essentiel ni franchement urgent dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 ou la Banque centrale européenne. Chacun voit la parité à sa porte, on dirait!), « Un père et une mère, c’est complémentaire » (surtout pour la répartition des tâches ménagères, hum) et bien sûr « La famille, c’est sacré! ». Mais quelle famille au juste ?

La famille, « sacrée » : du divorce mal digéré à l’homoparentalité réprouvée

Celle qui consacre et entretient les rôles genrés. Le regard (négatif) porté sur les couples de mères ou les couples de pères est par ricochet un jugement désapprobateur porté sur les mères ou les pères célibataires. Ce serait des parents incomplets auxquels les qualités de l’autre genre ferait défaut. Où l’on comprend que la part de la société française que révulse le mariage des homosexuels n’a toujours pas complètement digéré le divorce et qu’elle persiste à le considérer comme une faillite de la famille, une entrave au développement équilibré des enfants, voire un acte irresponsable d’adultes égoïstes qui sacrifient leur épanouissement individuel sur l’autel du besoin des enfants (là encore, les divorcé-es et les recomposé-es, ainsi que leurs enfants apprécieront certainement d’être vus, à travers les slogans sacrant la famille idéale « papa, maman, ma sœur et moi » comme des familles en échec, des familles au rabais, des familles que jamais le logo de la « manif pour tous » ne représentera).

Que veut-on au juste protéger : les enfants ou les structures inégalitaires de la société?

Où l’on observe aussi qu’au-delà de la question biologique, c’est bien la question de ce que doit être une mère et de ce que doit être un père qui est en réalité en jeu dans la « conviction » que le mariage et la parentalité pour les gays est néfaste à la société. Partant, c’est aussi la question de la préservation du rôle dévolu aux femmes et du rôle dévolu aux hommes dans la sphère intime qui est défendue par les opposants au mariage pour tous. Qu’un homme puisse tenir alternativement le rôle maternel et le rôle paternel auprès de ses enfants leur semble incongru. Qu’une femme puisse en faire autant ne les laisse pas plus sereins. Eux qui disent protéger le Code civil et se faire les apôtres des droits de l’enfant, protègent en réalité avant tout une conception (légèrement archaïque) des relations hommes/femmes. Le slogan sous-jacent, c’est « chacun à sa place et les structures de la société seront bien gardées ». Même si cette société est inégalitaire et stéréotypale, même si cette société a jusqu’ici démontré son incapacité à traiter les hommes et les femmes comme des êtres parfaitement égaux. Ce sont des êtres « complémentaires » disent les pancartes, terme exactement similaire à celui d’un certain projet de constitution tunisienne qui voulait officiellement instaurer l’infériorité des femmes. Certes, hommes et femmes ont mutuellement à s’apporter (comme tous les humains entre eux, soit dit en passant), mais avant d’être « complémentaires », commençons par être égaux, sans quoi c’est juste une énorme arnaque pour celui (enfin celle) qui fait le « complément ».

Et si les couples et parents homos proposaient de nouveaux modèles positifs de rapports familiaux?

J’ose donc croire, sans naïveté exagérée mais avec un optimiste affirmé, que la famille homoparentale est possiblement porteuse d’une autre vision des rapports de genre, à travers les autres modèles de couple qu’elle propose. C’est une famille dans laquelle l’activité professionnelle et le salaire de chaque membre du couple se pose dans d’autres termes, où le différentiel revenu principal/revenu d’appoint n’a plus la même raison d’être et ne recoupe évidemment plus la différence des sexes. C’est une famille dans laquelle les tâches ménagères sont de facto dégenrées. C’est une famille dans laquelle l’autorité comme la douceur, la technicité comme l’intuition, la rationalité comme l’émotion appartiennent autant au domaine de l’un(e) et de l’autre membre du couple. C’est une famille qui ne transmet par définition pas une foule de stéréotypes sexistes tels que « papa travaille, maman repasse », « papa est le chef de famille, maman est câline », « papa joue, maman soigne »… Et si, nous autres, hommes et femmes hétéros, pères et mères hétéros, avions bien plus à apprendre des homos que nous ne l’imaginons pour construire nos couples et nos familles de façon plus égalitaire et mieux équilibrée?

source:francetvinfo.fr/