VIDÉO. GPA, immigration et contrevérités : Avec Eric Zemmour, l’intox, c’est du tout-terrain !

>> Lundi, il était sur France Inter pour emboîter le pas (et les arguments) des manifestants de la Manif pour tous. «C’est écrit noir sur blanc dans la jurisprudence européenne : à partir du moment où vous avez des couples de même sexe mariés, vous avez la PMA et la GPA. C’est écrit dans la Cour de justice de l’Union européenne.»

Certains élus de droite (voir le Désintox consacré à Jérôme Chartier) mettent en garde contre le fait que la loi Taubira sur le mariage pour tous risque de déboucher à terme sur l’autorisation de la GPA et de la PMA. Zemmour va plus loin. A l’en croire, le droit communautaire contraindrait expressément les pays membres à ouvrir le droit à la PMA (Procréation médicalement assistée, l’insémination artificielle) et à la GPA (Gestation pour autrui, le recours aux mères porteuses) aux couples homosexuels mariés. C’est écrit «noir sur blanc», assure-t-il.


E. Zemmour : »Il y aura la GPA comme la PMA à… par franceinter

DÉSINTOX. Contacté par Désintox, Eric Zemmour maintient avoir lu des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui attestent son propos… Mais n’arrive malheureusement pas à remettre la main dessus. «Mais vous devriez demander à la documentation du Figaro, il y a eu plein d’articles là-dessus à l’époque.»

A ce jour, la Cour de justice européenne ne s’est pas prononcée sur l’accès à la PMA et la GPA pour les couples de même sexe, qu’ils soient mariés ou non. Sollicitée par le Royaume-Uni, la CJUE a certes rappelé dans un arrêt du 15 mars 2014 que les femmes qui ont eu recours aux service d’une mère porteuse n’ont pas le droit au congé maternité. Mais c’est tout, car la CJUE, quand elle n’est pas consultée par un Etat-membre, veille seulement à l’application des traités européens, et ne légifère pas sur les questions bioéthiques.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, autre instance européenne avec laquelle Zemmour a peut-être confondu la CJUE) a, elle, rendu plusieurs décisions concernant la PMA et la GPA… Mais aucune ne se conforme davantage aux déclarations de Zemmour.

Le 15 mars 2012, l’arrêt Gas et Dubois contre France maintient l’interdiction pour une femme d’adopter l’enfant de sa compagne né à l’étranger d’une PMA… La CEDH évoque l’égalité de traitement et le très vague sous-entendu de la Cour (si le couple avait été marié, cela aurait pu être possible) fait frémir les anti-mariage pour tous. Mais il s’agit bien ici de la filiation d’un enfant déjà né, pas de l’ouverture d’un droit à la PMA.

Le 23 septembre dernier, le mariage étant désormais possible entre couples de même sexe, la Cour de Cassation accorde également le droit à une femme d’adopter l’enfant de sa compagne conçu à l’étranger par PMA.

Sur la GPA, la CEDH s’est aussi bornée à la reconnaissance de la filiation : le 26 juin, elle a condamné la France pour avoir refusé d’inscrire à l’Etat civil des enfants nés de mères porteuses à l’étranger. Si la France devra tenir compte de cette décision, cela n’implique en aucun cas une autorisation de la GPA, sujet sur lequel la Cour est muette…

Globalement, sur les questions «sensibles» comme celles relatives à la bioéthique, la CEDH laisse à ce jour primer la liberté et la souveraineté des Etats-membres pour adapter leur droit national. Pour exemple, dans un arrêt de novembre 2011 (S.H. Et autres contre l’Autriche), elle a rappelé que chaque Etat peut lui-même décider des conditions d’accès à la PMA.

Après PMA et GPA, Zemmour reparle des immigrés

INTOX. Deux jours avant, c’était sur France 2, et sur un autre de ses sujets de prédilection, l’immigration, qu’Eric Zemmour avait affolé le détecteur de mensonge, dans un échange des plus confus avec le journaliste Aymeric Caron, qui a pourtant courageusement tenté de contenir les fantaisies statistiques de son invité.

Aymeric Caron reprend une chronique d’Eric Zemmour sur RTL, le 30 novembre 2012. Le polémiste y affirmait : «En octobre dernier, l’Insee a noté qu’il y avait 5 millions d’étrangers en France et que leurs enfants de moins de quatre ans représentent 7 millions… 12 millions. Ces chiffres sont passés inaperçus.»

Aymeric Caron : «Vous assumez ces propos ?

Eric Zemmour : Oui.

AC : Quelle est votre source ?

EZ : L’Insee.

AC : Les données de l’Insee disent qu’il y a 5,3 millions d’immigrés.

EZ : Non, d’étrangers.

AC : Et non… C’est là que vous vous trompez.

EZ : Et non. […] Un immigré c’est un étranger. […] Il y a 5 millions d’étrangers.

AC : Non, il y a 5 millions d’immigrés, et certains sont devenus Français.

EZ : C’est faux, pas dans les 5 millions.

AC : Et si. 5,3 millions d’immigrés vivant en France parmi lesquels 2,2 millions ont acquis la nationalité française. Il reste donc en France 3 millions d’étrangers. Leurs descendants directs qui vivent en France, sont au nombre de 6,7 millions. La quasi totalité d’entre eux sont Français.

EZ : C’est faux.

AC : Si on vous écoute, il y a 12 millions d’étrangers en France. En réalité, il y en a 3 millions.

EZ : C’est faux. […] Les 5 millions, j’ai eu la dépêche de l’Insee entre les mains, ce sont des étrangers. Deuxièmement, les enfants, qui sont 6,7 ou 7 millions, qui ont moins de quatre ans, jusqu’à 18 ans, ils ne sont pas Français, ils sont étrangers que ça vous plaise ou non. Ils seront Français. Ils seront Français à 18 ans s’ils refusent (sic) leur nationalité française. Et troisièmement, c’est vous qui trafiquez les chiffres et je vais l’expliquer très simplement : si on prend 100 millions d’Africains, on les fait venir en France, on leur donne la nationalité française, il y aura toujours le même nombre d’étrangers. Seulement, ça sera un autre pays, avec un autre peuple.

AC : Vous transformez les chiffres… Quand vous dites « les enfants de moins de quatre ans sont 7 millions », il n’y a rien qui vous choque ? On est combien en France ?

EZ : C’est écrit noir sur blanc sur la dépêche de l’Insee, je vous la ressortirai.

AC : Vous ne savez pas lire les dépêches de l’Insee. Au premier janvier 2013, les enfants de moins de 4 ans de l’ensemble de la population n’étaient même pas de quatre millions…»

Résumons : selon Zemmour, on a 5 millions d’étrangers, 7 millions d’enfants de moins de 4 ans étrangers, 12 millions au total. Le tout estampillé Insee.

DÉSINTOX. Le document auquel se réfère Eric Zemmour, daté d’octobre 2012, est une étude (et non une «dépêche») de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ses résultats ne sont pas du tout «passés inaperçus». Ils ont été largement commentés dans tous les médias. Mais ils n’ont que peu à voir avec ce qu’en retient Zemmour, qui a visiblement très mal lu le document en question.

Le document de l’Insee précise que 7,1 millions de personnes nées à l’étranger vivent en France, dont 1 770 000 nés Français (en majorité dans les pays nord africains). Un immigré étant une personne étrangère née à l’étranger, il y a donc, selon ce décompte, 5,34 millions d’immigrés en France. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a 5 millions d’étrangers en France comme le dit Zemmour, dont l’équation «un immigré=un étranger» est fausse. Car sur ces 5,34 millions d’immigrés, plus de 2 millions ont pris la nationalité française.

Le nombre d’étrangers vivant en France s’obtient en ajoutant le nombre d’immigrés qui n’ont pas acquis la nationalité française (3 170 000) et le nombre d’étrangers nés en France et n’ayant pas non plus (pas encore, pour certains) opté pour la nationalité française (550 000). Soit un total de 3 720 000 personnes, selon l’INSEE. Et non pas 5 millions comme l’affirme Zemmour.

Le polémiste est encore plus loin du compte à propos des 7 millions de jeunes enfants étrangers qu’il ajoute pour arriver à son total de 12 millions. La même étude de l’Insee recense 6,7 millions de descendants directs d’immigrés. C’est probablement les 7 millions auxquels fait allusion Zemmour, en cumulant à nouveau les erreurs.

Primo, il ne s’agit pas d’étrangers, mais de personnes nées en France ayant au moins un parent immigré.   Zemmour affirme avec aplomb qu’ils sont étrangers par définition jusqu’à leurs 18 ans… Ce qui témoigne d’une méconnaissance certaine des règles d’acquisition de la nationalité. Même dans le cas d’un enfant né en France de parents étrangers, il est possible d’acquérir la nationalité avant la majorité.

Surtout, sur ce total de 6,7 millions, un bon nombre est né d’un seul parent immigré. C’est-à-dire que leur autre parent est né sur le sol français. Ce qui leur offre l’accès à la nationalité dès la naissance. Pour avoir un ordre d’idée, 13,5% des 25-54 ans en France sont des descendants directs d’immigrés. Une petite moitié (5,8%) d’entre eux est issue de deux parents nés à l’étranger. Une grosse moitié est issue d’un seul parent né à l’étranger.

Deuzio, les 6,7 millions qui composent cette deuxième génération d’immigrés ne sont en aucun cas des enfants de moins de quatre ans comme l’affirme Zemmour. Sur ces 6,7 millions, 4,5 millions ont 18 ans ou plus. Et 2,2 millions sont des mineurs nés en France.

Comme le remarque Aymeric Caron, on voit mal comment il pourrait y avoir 7 millions d’enfants étrangers de moins de 4 ans, sachant qu’il y avait au total, au premier janvier 2013 (selon l’Insee toujours), 4 millions d’enfants de 4 ans ou moins vivant en France…

Mais qu’importent les invraisemblances les plus flagrantes, puisque Eric Zemmour nous dit que cela aussi, il l’a vu écrit «noir sur blanc».

Cédric MATHIOT et Sarah BOSQUET
liberation.fr