Écoles placardées d’affiches, campagne publicitaire à la télé, site web interactif : le ministère de la Justice n’a pas été regardant sur les moyens et les effectifs déployés dans la mise en œuvre de sa campagne de sensibilisation à l’homosexualité. C’est de bonne foi, à n’en point douter, que le ministre Saint-Arnaud a lancé son dernier plan de lutte contre l’homophobie. Mais il rate lamentablement sa cible, et ce en particulier pour une raison qui s’applique non seulement à l’ensemble de l’œuvre du ministre, comme on le verra en premier lieu, mais aussi spécifiquement à la lutte contre l’homophobie et l’intimidation dans les écoles, comme il le sera démontré en second lieu.
La lutte contre l’homophobie vs le cissexisme «pour la cause»
Premièrement, j’aimerais m’attarder sur le principal problème de la dernière campagne de sensibilisation du gouvernement, dont vous trouverez les vestiges ici: www.vraimentouvert.com. On y voit des couples homosexuels s’embrassant, des parents homosexuels, des individus bisexuels ainsi qu’une personne âgée trans en signe d’inclusivité (je dénoncerai l’amalgame de la diversité de genre avec la diversité sexuelle une autre fois), avec toujours la même question: est-ce que ça vous dérange? Très bien; fantastique, même. En bonus, de la visibilité positive pour les aîné(e)s trans, youpi! Quel est le problème? Ce sont tous des individus cisgenres (dont le genre correspond aux attentes sociales envers le sexe; par exemple, une fille féminine ou un garçon masculin) ou, dans le cas de l’individu trans, binaire dans sa présentation de genre.
Qu’on ne se méprenne pas: la lutte contre l’hétérosexisme (un terme selon moi préférable à homophobie, une phobie étant une peur pathologique: les homophobes ne sont pourtant pas à plaindre!) m’apparait comme primordiale et essentielle; toutefois, l’orientation sexuelle n’est pas la même chose que l’identité, l’expression ou la présentation de genre, sur lesquelles les agresseur(e)s se basent pourtant pour déterminer la valeur de leurs victimes. Un (ou une) agresseur(e) ne s’acharnera pas sur une femme féminine ou sur un homme masculin, dont la présentation est conforme aux attentes: c’est sur la femme masculine, butch ou tomboy que le couperet tombera, et sur l’homme efféminé tout particulièrement que le bat blesse, pour des raisons découlant du sexisme et de la misogynie ambiants – le lien entre le sexisme et l’infériorisation des hommes efféminés étant flagrant.
Ainsi, pourquoi dépenser tant d’énergie à sensibiliser la population au fait qu’il soit acceptable pour un individu cisgenre d’être homosexuel, lorsque le discours ambiant suggère que «c’est correct d’être gai ou lesbienne, tant que tu le montres pas»? J’ai discuté de ce problème avec plusieurs personnes homosexuelles de mon entourage, qui partageaient largement mon point de vue, en soulignant toutefois «l’importance de paraitre normal pour que la population finisse par accepter l’homosexualité.» Autrement dit, l’homosexualité, c’est full chill, en autant qu’elle soit performée par des individus cisgenres (ou binaires dans leur genre). Évitons donc de montrer des hommes maniérés ou des butchs qui sacrent en onde, doux Jésus! Quant aux individus se définissant comme androgynes ou en dehors de la binarité homme/femme: OMG!, que de nuisance pour le «mouvement»!
La bien-pensance anti-homophobie dans les écoles
Une école primaire, vous imaginez? Oui, bien entendu, c’est de bonne foi, c’est bien, la lutte contre l’homophobie. Mais bon sang! On ne laisse même pas les enseignant(e)s parler de sexualité en classe (anyway, elles et ils sont si peu formé(e)s à ce sujet que je doute que même une partie d’entre elles et eux veuillent le faire réellement…) et on voudrait leur faire expliquer à leurs boutchoux qu’il est acceptable pour des personnes de même sexe d’échanger des bisous?!
Énormément d’écoles, au Québec, se sont dotées de politiques interdisant la discrimination et l’intimidation basées sur l’orientation sexuelle… mais une poignée seulement applique une politique contre la discrimination et l’intimidation basées sur le genre. Frappe un garçon parce qu’il est gai, tu seras puni; frappe-le parce qu’il porte une jupe, et on te donnera ton Red Bull pour te donner l’énergie pour continuer. J’exagère, évidemment, mais tel est le message qui est envoyé aux jeunes.
Ces jeunes, elles et ils en voient, des personnes homosexuelles, à la télévision et dans les médias. Mais uniquement des personnes homosexuelles «montrables», bien entendu: aucune qui défie les normes de genre de quelque manière que ce soit, si ce n’est du ponctuel et inévitable show de dragqueenisme auquel tout humoriste se livre à un moment ou l’autre, car la non-conformité dans le genre est seulement entendable dans un contexte de dérision, c’est connu.
C’est ce qu’on persiste à montrer à la télé, et c’est ce que les jeunes entendent comme étant légitime de ridiculiser. Et il ne se trouvera personne sur leur chemin pour leur expliquer la nocivité de leurs moqueries: en toute reconnaissance du travail de dingue qu’elles et ils font à journée longue, l’enseignant(e) qui trouvera le garçon battu par celui qui considérait illégitime pour lui de porter une jupe lui dira, le plus clairement du temps, qu’il n’avait qu’à ne pas porter de vêtements typiquement associés à l’autre sexe ce jour-là.
Il se trouvera même des parents qui enverront à l’école habillé comme il le veut leur petit garçon qui trippe sur les jupes, non pas pour le valoriser dans son expression et lui apprendre la résilience et le courage, mais explicitement pour que ses petits camarades lui enseignent le contraire. «Il va apprendre de ses erreurs…»
Voilà ce qu’il faut combattre, monsieur le ministre de la Justice.
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Sophie-Geneviève Labelle
Auteure et intervenante pour Enfants transgenres Canada