Vidéos. « Une équipe de rêve » : Jaiyah Saelua, première joueuse de foot transgenre

C’est l’histoire d’une équipe de football qui ne brille pas forcément par ses résultats mais par son charisme. Depuis que les Samoa américaines ont perdu 31 à 0 contre l’Australie en 2001, elle est considérée comme la « pire équipe de football de l’histoire ». C’est à elle que s’intéresse le documentaire de Mike Brett et Steve Jamison qui sort en salles ce mercredi 10 juin: Une équipe de rêve .

[spacer]

[spacer]

Dans ce film, il est question de la passion des joueurs de cet archipel océanien pour le football, des valeurs qu’ils véhiculent. Des valeurs d’ouverture et d’intégration, entre autres, car dans cette équipe se trouve Jaiyah Saelua, la première joueuse de foot ouvertement transgenre dans une compétition internationale – elle a disputé un match qualificatif de Coupe du monde en 2014 avec l’équipe masculine de son pays.

Fa’afafine, « à la manière des femmes »

Transgenre, c’est le terme qu’elle emploie pour se faire comprendre, car Jaiyah Saelua, 26 ans, est une fa’afafine, un terme qui signifie littéralement « à la manière des femmes ». « Je suis ce qu’on appelle une fa’afafine », expliquait-elle récemment à L’Equipe, qui l’a rencontrée. « Culturellement, pour que tout le monde comprenne, on va dire que c’est ‘transgenre de la culture samoane' », précisait-elle à 20 Minutes. Ou encore: un « troisième genre ». Mais pour Françoise Douaire-Marsaudon, directrice de recherche émérite au Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie (CREDO), ces termes employés pour se faire comprendre ne permettent pas de saisir entièrement le terme de fa’afafine. « Il faut comprendre une catégorie telle qu’elle est conceptualisée sur place », indique au HuffPost cette spécialiste des questions de sexe et de genre dans les sociétés de Polynésie.

Une fa’afafine est née homme mais se sent profondément femme. Comme une femme trans, certes, mais il faut noter une différence. « Une fa’afafine peut décider de vivre comme une femme mais elle peut aussi choisir de revenir à un sexe original », explique Françoise Douaire-Marsaudo. « Elle peut donc être ce qu’on appellerait un travesti. » Un homme peut donc, s’il le souhaite, devenir une fa’afafine mais cette décision n’est pas irréversible.

Les fa’afafine qui choisissent de le rester se rapprochent plus des femmes trans telles qu’on les connaît en occident, bien que ce soit un concept à part, qui varie d’ailleurs selon les régions de Polynésie. Quoi qu’il en soit, c’est le cas de Jaiyah Saelua, qui a réalisé assez tôt qu’elle était était une femme trans. « Je le cachais, en quelque sorte, en primaire. C’était confus pour moi, mais au lycée, j’ai rencontré d’autres personnes trans et ils sont devenus mes meilleurs amis. On a appris les uns des autres », racontait-elle à Vice.

« Elles s’occupent surtout des enfants »

Jaiyah Saelua a reçu une éducation de fille dès son enfance: « Chez nous, quand les garçons naissent dans des familles où il y a trop de mâles, l’un ou plusieurs d’entre nous sont choisis par les parents pour être éduqués comme des filles et s’occuper ainsi, entre autres, des tâches ménagères. J’ai donc reçu une éducation de fille », expliquait-elle à L’Equipe. Mais ça ne se passe pas toujours comme cela. « Une famille peut décider d’éduquer un garçon comme une fille mais cela ne signifie pas qu’elle deviendra une fa’afafine », insiste la chercheuse du CREDO.

Quant à leur rôle dans la société, il est bien semblable à celui évoqué par la joueuse de foot à travers ces « tâches ménagères ». « Elles s’occupent surtout des enfants », précise Françoise Douaire-Marsaudon. « Et si elles ont un métier, c’est souvent un métier dit de femme », ajoute-t-elle. Il faut savoir que chez les Samoa, la distinction entre hommes et femmes est très prégnante. Ce n’est pas le cas dans toutes les sociétés de Polynésie, à Tahiti par exemple.

Contrairement aux femmes trans qui peuvent être homosexuelles (mais hétérosexuelles ou bisexuelles aussi, bien sûr) et aimer les femmes, les fa’afafine « ont une sexualité qui les oriente vers les hommes », précise la chercheuse.

Dans un entretien à 20 Minutes, Jaiyah Saelua insiste sur le fait que chez les Samoa, « le mot Fa’afafine a un sens très positif (…) Historiquement, ils sont vus comme un genre supérieur aux femmes et aux hommes, presque comme des demi-dieux ».

[spacer]

[spacer]

« Elles ne sont pas des surhommes, plutôt des sages »

Françoise Douaire-Marsaudon n’irait pas jusque-là même si elle admet que ce n’est pas faux: « elles peuvent passer au travers des frontières invisibles entre les sexes. Elles ne sont pas des surhommes, plutôt des sages », souligne-t-elle. De fait, elles ont donc une certaine aura, car elles s’entendent aussi bien avec les femmes qu’avec les hommes. Elles ont d’ailleurs la possibilité de passer d’un groupe à l’autre. Jaiyah Saelua joue d’ailleurs dans une équipe masculine sans que cela pose le moindre problème.

« Dans ces sociétés, le genre n’est pas une propriété intrinsèque de l’individu, comme cela peut l’être chez nous », explique Françoise Douaire-Marsaudon. « Ce sont des sociétés qui ont dépassé la frontières entre les sexes », ajoute-t-elle.

Après les matches de qualification au Mondial en 2018, elle arrêtera toutefois de partager le ballon rond avec ses coéquipiers. « Après ces matches, je vais commencer mon processus de réassignation sexuelle », confie-t-elle à L’Equipe. Une fois que ce sera fait, elle pourrait jouer dans une équipe féminine. Si elle y arrive, car les tests pour établir le sexe d’une personne avant des compétitions internationales sont rudes. Mais ça, c’est une autre histoire.

huffpostmaghreb.com