Avec son best-seller « And The Band Played On », paru en 1987, le journaliste Randy Shilts identifiait Gaëtan Dugas, steward homosexuel québecois, comme l’un des tout premiers malades atteints du sida ayant eu des relations avec des Américains. Ce dernier alors disparu, était surnommé « patient zéro », ou originel : « source supposée » de l’infection qui a fait quelque 650 000 morts aux États-Unis.
Il a pourtant été injustement accusé, confirme une étude génétique publiée ce 26 octobre dans la revue scientifique « Nature ». Elle avait été dévoilée en mars dernier à l’occasion de la Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI) à Boston, mais les conclusions sont à présent détaillées et exonèrent le jeune Québécois.
Le virus a fait un « saut » des Caraïbes à New York vers 1970, devenue la plaque tournante à partir de laquelle il s’est ensuite répandu, bien avant l’identification de la maladie en 1981. Gaëtan Dugas n’était en réalité qu’une des nombreuses victimes. Il a d’ailleurs fait des efforts pour aider les responsables de la santé à comprendre comment le virus s’était propagé, n’hésitant pas à se déplacer jusqu’au CDC d’Atlanta pour offrir des échantillons sanguins ou nommer des dizaines de personnes susceptibles d’être infectées, avec lesquelles il avait eu une relation sexuelle avant son décès en 1984.
L’équipe de l’Université de l’Arizona, à Tucson, menée par Michael Worobey et des chercheurs de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) ont ainsi pu reconstituer les origines de l’épidémie après avoir récupéré du matériel génétique (ARN) dégradé du virus (VIH) de huit échantillons de sérum sanguins vieux de près de 40 ans (recueillis en 1978 et 1979 chez des hommes de New York et San Francisco), en plus de celui du steward.
Grâce à des techniques moléculaires qu’ils ont mis au point, le « RNA jackhammering » notamment (« martèlement d’ARN »), ils ont pu reconstituer le génome du virus et n’ont trouvé « ni preuve biologique, ni historique que le « Patient zéro » ait été le premier cas aux Etats-Unis ».
« Dugas est l’un des patients les plus diabolisés de l’histoire », constate également Richard McKay, historien de la santé publique et l’un des deux principaux auteurs de l’étude.
À bien des égards, selon lui, les preuves historiques ont permis de pointer « depuis des décennies l’erreur ». Mais « nous avons maintenant des preuves phylogénétiques » (un arbre génétique dressant les liens de parenté entre les virus) permettant de consolider cette position. Et la désignation par la lettre « O » pour « Outside California » (hors de Californie) de ce patient « numéro O57 » dans un travail de recherche des Centres de contrôle des maladies (CDC) américains en 1982 a contribué à la « confusion », la lettre étant prise pour le chiffre zéro.
Anne V. Besnard
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