L’organisme caritatif du milliardaire américain dispose d’un budget annuel deux fois plus important que celui de l’OMS.
Après avoir créé et dirigé Microsoft, l’entreprise qui fut un temps la plus puissante du monde, l’entrepreneur américain Bill Gates est depuis 2007 le patron à plein temps de la fondation caritative qui porte son nom et celui de son épouse, et c’est avec cette casquette qu’il parcourt désormais la planète. «Je consacre environ un tiers de mon temps aux déplacements, pour aller solliciter la générosité des gens et vérifier sur le terrain l’efficacité de nos actions», résumait le magnat, de passage à Paris fin juin.
Du temps, et de l’argent: la Fondation Bill et Melinda Gates, qui est devenue la plus riche au monde avec l’arrivée en 2006 du milliardaire Warren Buffett au sein du fonds, dépense annuellement 4 milliards de dollars dans des actions humanitaires, notamment dans les domaines de la vaccination et de la lutte contre les maladies infectieuses.
2,5 milliards de dollars contre le sida
Préparant la conférence internationale sur le financement du développement qui se tiendra du 13 au 16 juillet en Éthiopie, le milliardaire a été reçu le 25 juin en grande pompe par François Hollande à l’Élysée, puis par Laurent Fabius au ministère des Affaires étrangères. Devant son richissime invité, le président de la République s’est engagé à continuer à soutenir le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, et l’Alliance mondiale des vaccinations (GAVI), deux des principales organisations financées par la Fondation. Plus tard au Quai d’Orsay, Bill Gates a signé un partenariat de 100 millions d’euros avec l’Agence française de développement et GAVI pour accroître la couverture vaccinale dans six pays du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad).
Achat et distribution de médicaments, de vaccins, financement de programmes de recherche, mais aussi soutien à l’agriculture, au planning familial, lutte contre la malnutrition… les champs d’intervention de la Fondation au travers des organisations qu’elle soutient sont vastes, et les résultats, indéniablement, sont là. En quinze ans d’existence, la Fondation Gates a ainsi injecté 2,5 milliards de dollars dans la lutte contre le VIH-sida via différents programmes, et autant auprès de l’alliance GAVI, qui s’est fixé pour objectif sur la période 2010-2015 de vacciner contre le pneumocoque et les rotavirus (responsables des diarrhées) 240 millions d’enfants pour éviter 4 millions de décès prématurés.
De nombreux objectifs
Quant aux objectifs pour les quinze prochaines années, ils ne sont pas moins ambitieux: éradiquer la poliomyélite et d’autres maladies des pays pauvres moins connues (la dracunculose, l’éléphantiasis, l’onchocerose et la cécité trachomateuse), développer des outils contre le paludisme permettant de le faire quasiment disparaître, et inverser la courbe de progression du VIH.
Un éditorial de la très sérieuse revue médicale The Lancet saluait en 2010 le «dynamisme» insufflé par la Fondation Gates dans le domaine de l’aide mondiale à la santé: «La Fondation a défié le monde d’être plus ambitieux dans ce qui peut être fait pour sauver des vies dans des régions pauvres.» Voir grand et innover. Mais Bill Gates n’a pas oublié qu’il est avant tout un chef d’entreprise. Il a créé en 2007 l’IHME, institut pour la mesure et l’évaluation de la santé destiné à élaborer des indices fiables pour juger de l’efficacité de l’argent investi.
L’implication d’un entrepreneur aux mains d’or dans l’amélioration de la santé mondiale n’est pas nouvelle. Aux États-Unis, la liste des «philanthropes capitalistes» ayant précédé Bill Gates, et dont celui-ci revendique s’être inspiré, inclut des noms aussi prestigieux que Rockefeller, Carnegie et Ford. Ce qui change, c’est l’échelle. Assise sur un fonds de 43 milliards de dollars, la Fondation Gates dispose d’un budget annuel désormais deux fois supérieur à celui de l’Organisation mondiale de la santé, l’agence onusienne qui, elle, est financée par les États.
Un tel rebattage des cartes place au sommet de la santé publique un acteur privé tout puissant, dont l’engagement, certes salué à l’unanimité mais potentiellement fluctuant, interpelle. Certains commentateurs soulignent ainsi que l’hyperpuissance de la fondation privée donne un poids déséquilibré aux «engouements» de son patron.
Plus difficile que prévu
«L’OMS joue un rôle essentiel mais il est très différent du nôtre, insiste de son côté Bill Gates, interrogé par Le Figaro. Elle ne finance pas la recherche, n’achète pas de médicaments. L’OMS en revanche édicte la réglementation sanitaire internationale, alors que nous, nous n’avons pas notre mot à dire sur le sujet. C’est l’un de nos partenaires clés et nous sommes leur deuxième bailleur de fonds.»
«L’OMS s’adresse à qui veut remplir ses caisses et la Fondation Gates est incontournable à ce niveau-là, confirme Rony Brauman, ex-directeur de Médecins sans frontières, désormais professeur à Sciences Po. Que l’OMS soit livrée à des intérêts privés, même humanitaires, pose problème. Mais c’est aux États qui se sont désengagés à la fin des années 1990 que la question doit être posée, pas à la Fondation Gates à laquelle les humanitaires ne peuvent rien reprocher.»
«Les décisions budgétaires globales sont prises par Melinda et moi», reconnaît Bill Gates, rappelant toutefois être entouré par des spécialistes de haut niveau. Alors qu’il s’est dit vendredi assez confiant dans la possibilité de voir mis sur le marché un vaccin contre le sida «d’ici cinq à huit ans», il admet que ce projet scientifique, auquel il est très attaché, s’est révélé «plus difficile que prévu». «Nous avons des vaccins qui montrent de très bons résultats sur les singes et qui sont en phase 1 de test clinique sur l’homme», met en avant celui qui se dit résolument «optimiste». «Cela vaut mieux, vu les chèques que je signe pour ce projet.»
Les cinq années à venir offrent une «opportunité fragile» pour enrayer le rebond des contaminations par le virus du sida, mais si rien n’est fait les conséquences humaines et financières pourraient être «catastrophiques», selon Michel Sidibé, directeur général de l’Onusida. Un rapport réalisé par l’organisation avec la revue médicale The Lancet appelle à faire de la maladie une priorité dans les objectifs de développement de l’ONU.
Les bonnes nouvelles ne manquent pas, se réjouit le rapport: l’infection peut désormais être contrôlée à condition d’avoir accès aux médicaments antirétroviraux, apparus en 1996, et l’incidence annuelle des infections a diminué (de 38 % entre 2001 et 2013, 58 % chez les enfants). Mais les défis demeurent: 1,5 million de personnes sont mortes à cause du sida en 2013, 10 millions attendaient un traitement et 19 millions ignoraient leur séropositivité. Des études notent aussi une résurgence de l’épidémie en Europe occidentale, Amérique du Nord et Asie, notamment chez les homosexuels. Pour que le sida ne soit plus une menace pour la santé publique, objectif de l’ONU pour 2030, il faudrait y consacrer 36 milliards de dollars par an selon le rapport. L’effort actuel est de quelque 19 milliards.
Par Pauline Fréour
sante.lefigaro.fr