Grandes écoles interdites, restriction d’entrée dans de nombreux corps d’Etat, refus de soins, surprimes exorbitantes en cas d’emprunts : les discriminations à l’encontre des personnes touchées par le VIH sont « tenaces », dénonce l’association de lutte contre le Sida, Aides, dans un rapport inédit dévoilé jeudi. Un traitement qui, selon elle, «fleure bon les années 80», période où l’épidémie battait son plein avec sa cohorte d’idées reçues.
« Les personnes vivant avec le VIH sont perçues comme des dangers. La science a progressé, la société beaucoup moins », a résumé Aurélien Beaucamp, président de l’association de lutte contre le sida, lors de la présentation de ce rapport intitulé VIH/Hépatites. La Face cachée des discriminations.
« Réalisé à partir de situations individuelles dont nous avons été saisis (…), ce document n’est pas un rapport d’activité. C’est un panorama, souvent glaçant, de dysfonctionnements qui perdurent, de lacunes administratives, de failles juridiques, d’abus de pouvoir, de discriminations institutionnalisées dont le lit est bien cette façon, particulière et détestable, de considérer le VIH/sida comme une maladie ‘à part’ », écrit M. Beaucamp dans ce document. Il observe que «ces inégalités sont encore alimentées aujourd’hui par les peurs, les représentations, les exigences insultantes de protection vis-à-vis des personnes séropositives».
Malgré des avancées scientifiques qui ont bouleversé la vie des personnes infectées et augmenté considérablement leur espérance de vie, lois et règlements « sérophobes » perdurent. Aides a détaillé les dispositions administratives jugées contestables qui excluent de certaines professions des personnes vivant avec le VIH, ou restreignent leurs carrières.
L’association cite en particulier l’exemple de la restriction d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) en application d’une ordonnance de 1958 (bien avant la découverte du virus en 1983). Celle-ci stipule que chaque candidat à l’ENM doit remplir les conditions d’aptitude physique nécessaires à l’exercice des fonctions de magistrat, et être reconnu indemne ou définitivement guéri de toute affection donnant droit à un congé de longue durée (CLD). Un projet de loi organique présenté par la Garde des Sceaux Christiane Taubira, qui avait été sensibilisée à ce sujet par Aides en 2014, prévoit de faire disparaître ce prérequis.
Aides relève en outre le cas des écoles Polytechnique et Saint-Cyr, dont les critères médicaux d’aptitude aux carrières militaires excluent d’emblée les personnes séropositives sous traitement. Ce sont aussi 500.000 postes dans l’armée, la gendarmerie, la police et les sapeurs-pompiers qui sont interdits aux séropositifs, ces derniers étant considérés « inaptes au terrain », estime l’association.
Les personnes « séropositives sont, dans le meilleur des cas, cantonnées à des fonctions sédentaires ou administratives non opérationnelles. Aucune donnée scientifique ou médicale ne justifie une telle exclusion de principe, a fortiori depuis 1996 et l’arrivée des traitements antirétroviraux », fait valoir l’association.
« Un de mes anciens collègues gendarmes dont la séropositivité a été découverte lors d’une visite médicale annuelle obligatoire a immédiatement été reclassé, en fait mis au placard. Vécu comme une sanction, il a fini par démissionner », a témoigné Laurent Pallot, secrétaire général d’Aides.
Aides consacre aussi un volet détaillé au droit à la santé pour tous, rappelant la campagne menée au printemps montrant qu’un dentiste sur trois refuse de soigner les séropositifs. « Les raisons invoquées témoignent toujours de représentations fausses ou surannées de la séropositivité. La personne séropositive y est systématiquement assimilée à une personne inapte et potentiellement dangereuse », regrette Aides.
« En 17 ans de VIH, j’ai tout expérimenté, comme en 2010 lorsque, après une grosse opération, je me suis réveillé dans une salle avec mon dossier médical sur moi sur lequel avait été apposé en gros VIH », raconte Laurent Pallot. Il ne compte plus non plus les fois où il a entendu des soignants recommander à leurs collègues de porter deux paires de gants pour le soigner ou les secrétaires médicales apposant VIH à côté de son nom dans l’agenda. « Ma charge virale est indétectable. Je ne suis ni malade, ni dangereux pour la société », a-t-il martelé jeudi.
S’agissant de l’accès à l’emprunt immobilier, les malades doivent composer avec des « surprimes exorbitantes », dénonce l’association. « Dans les temps que nous vivons, il est extrêmement important que tout ce qui peut faire communauté, appartenance, égalité, sentiment que l’injustice peut reculer, que l’égalité peut avancer, tout ceci est extrêmement utile et même indispensable », a commenté Jacques Toubon, Défenseur des droits, qui a préfacé le document.
avec l’AFP