Longtemps les scientifiques ont cru que Gaëtan Dugas, steward homosexuel, était ce fameux « patient zéro » qui aurait « introduit et diffusé » le VIH aux États-Unis, du fait d’une « vie sexuelle très active ». Avec son best-seller « And The Band Played On », paru en 1987, le journaliste Randy Shilts avait également contribué à en démocratiser la thèse. Mais, une nouvelle étude génétique, présentée la semaine dernière à l’occasion de la Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI) à Boston, montre qu’il n’en est rien : les dates ne coïncident pas !
Selon l’information, relayée par le magazine américain Science, Michael Worobey, biologiste moléculaire à l’université d’Arizona à Tucson, a analysé la séquence génétique de souches virales VIH présentes dans des échantillons sanguins collectés en 1978 et 1979 chez des hommes homosexuels et bisexuels dans les villes de San Francisco et New York. Ces séquences ont été comparées à celle du virus contenu dans un échantillon sanguin de Gaëtan Dugas collecté lors d’une étude conduite en 1983 sur les premiers malades du Sida du Center for Disease Control (centre pour le contrôle des maladies).
On sait en effet que le VIH, virus à ARN, mute chaque fois qu’il se réplique. Cela permet de dresser un arbre phylogénétique et d’estimer le temps qui sépare plusieurs isolats viraux en fonction d’une sorte d’horloge moléculaire. Il ressort ainsi du travail de Michael Worobey que l’épidémie américaine de sida remontre aux alentours de 1970 pour la ville de New York et que le virus a atteint San Francisco vers 1975. Dans l’arbre phylogénétique des premiers isolats viraux américains, le génome viral de Gaëtan Dugas se situe entre les deux. Le génome du VIH qu’il hébergeait est proche de celui de souches virales qui circulaient à Haïti, où il s’était rendu en 1977.
Le canadien n’est donc pas le « patient index » des épidémiologistes ou « patient zéro », « source supposée » de l’infection aux États-Unis, « ni même un de ceux qui auront facilité sa diffusion ».
Gaëtan Dugas avait 29 ans quand il a appris qu’il était atteint du sida, surnommé « le cancer gay » au début des années quatre-vingt. Voyageant beaucoup de par sa profession d’agent de bord pour Air Canada, le jeune Québécois enchaîne les conquêtes masculines sur le continent américain. Selon l’enquête menée par Randy Shilts, le jeune homme aurait ainsi directement transmis le virus du sida à au moins 40 des 248 des personnes diagnostiquées aux Etats-Unis avant 1982.
« Les amants étaient comme les bronzages pour lui : magnifiques les premiers jours, puis fades. Parfois, Gaëtan étudiait son répertoire avec une sincère curiosité pour tenter de se rappeler qui était qui », écrivait Randy Shilts.
Il n’en aura fallu pas plus aux médias de l’époque pour s’offusquer de sa « débauche » et en faire à titre posthume, « L’HOMME QUI NOUS A DONNÉ LE SIDA », comme l’avait notamment titré en capitales le New York Post. Le jeune homme est mort avant même la publication du livre de Randy Shilts, en 1984
Selon le journaliste Jon Cohen, auteur de l’article publié dans Science, les torts remontent sans doute également aux premières étapes de l’enquête épidémiologique. Les chercheurs des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies désignaient Gaëtan Dugas avec la lettre « O » pour « Outside California » (en dehors de la Californie). « La lettre « O » aurait-elle pu être confondue avec un zéro ? »
Gilles Pialoux, auteur du Sida 2.0 et chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, à Paris, en avait déjà fait état, rappelle leFigaro. Le « patient index » est africain, et il ne sera jamais possible de le retrouver : « L’histoire a déjà prouvé que l’épidémie n’était pas née aux États-Unis mais en Afrique centrale, entre le Cameroun, le Gabon et la République démocratique du Congo ». Le virus aurait ensuite voyagé entre l’Afrique et Haïti en 1966, puis de Haïti en Amérique du Nord en 1972 et, enfin, de l’Amérique du Nord à l’Europe entre la fin des années 70 et le début des années 1980.
Valentine Monceau
stophomophobie.org